« Quelqu’un a commandé des pizzas ? »
Cookie était assise sur les genoux de Takros. Une fenêtre de réalité augmentée séparait la « face » elfe de son compagnon ork visiblement contrarié d’avoir été interrompu en pleine « négociation ». Le petit appartement de Takros était sobre mais confortable. La musique néo-métal allemande faisait vibrer sa cage thoracique autant que les caissons de basse et couvrait presque entièrement le son de sa voix. Mais les voisins ne s’étaient jamais plains grâce à l’isolation « maison » élaborée par Takros… à l’aide d’esprits de l’air.
« Volker ? »
L’elfe écrasa sa paume sur le visage entreprenant de Takros et se retourna vers leur dernière recrue. Bien que la coopération fut difficile au début, Cookie ne mit pas longtemps à apprécier le professionnalisme et la rigueur toute germanique de leur expert en armement européen. Bien qu’il soit opposé à toute modification cybernétique et tout implant bioware, Volker n’avait pas son pareil pour vous loger une balle entre les deux yeux, quelque soit la situation. Simple et efficace, comme il disait. Présentement occupé à nettoyer le canon de son Ares Prédator IV finement ciselé, la question lui arracha un regard interrogateur et une réponse négative.
– Laisse moi vérifier, lui dit Takros en se dégageant de la petite poigne de l’elfe. Il marmonna quelque chose et sentit la présence fantomatique des deux esprits veilleurs attachés à ce lieu répondre à son appel.
– Plutôt bien équipés pour des livreurs de pizzas. Vous en avez commandé combien ? douze ? Parce que ça se bouscule en bas.
Cookie se leva d’un bond et attrapa son com link sur la table. La fenêtre de réalité augmentée mise en attente se ferma d’elle même.
– Putain on est grillé ! Qu’est ce qui a merdé ? Qu’est ce qui a merdé bon sang !
– On verra ça plus tard ! Volker ! Remonte tes joujous, c’est plus l’heure du ménage.
Volker était déjà à la fenêtre. Son Ares prédator IV à sa ceinture et son AK-97 en main.
– Je vois rien dehors, rien d’apparent en tout cas.
Takros esquissa un petit sourire. Volker avait vraiment un accent de merde, même pour un ork du Texas.
– Ils sont six. D’autres runners probablement. Il y en a un en train de s’installer dans l’immeuble en face et un au coin de la rue. Les autres sont encore en bas. Il y a deux trolls parmi eux.
– Qu’est ce qu’on fait ? j’arrive pas à me servir de mon com link, encore un de ces putain de technomancien ! Faut vraiment qu’on pense à recruter un de ces types. En attendant il va falloir qu’on leur botte le cul pour débloquer le réseau.
Takros s’avança vers Cookie et pris sa tête entre ses grosses mains.
– Toi ma chérie tu bottes le cul de personne et tu t’en vas, compris ? Tache de trouver qui nous a balancé. N’essaye pas de nous re contacter, nos communications ne sont plus sûres. C’est moi qui te retrouverai.
– Aïe !
Takros retira sa main avec un cheveu violet entre les doigts. Il l’enroula délicatement et le glissa dans une petite bourse en cuir pendue à sa ceinture.
Cookie se glissa hors de l’étreinte de l’ork, se posta près de la porte d’entrée et dégaina son Fichetti Security 600.
– Dans tes rêves mon gros ! tu me mettras pas sur la touche aussi facilement. J’ai pas besoin qu’on s’occupe de moi et puis je te rappelle que j’ai sept fois ton âge ! Je pourrais être ton arrière arrière arrière arrière grand mère bordel !
Volker haussa un sourcil.
– Elles sont toutes comme ça ? Ou c’est juste la profession ?
– Non c’est juste Cookie.
Takros esquissa un petit sourire et ouvrit son esprit au monde astral. Les lieux lui étaient familiers car ici se trouvait sa loge chamanique. Il ne savait pas qui étaient ces types et combien on les payait pour cette run mais il fallait être soit complètement cinglé soit complètement fou pour acculer un chaman Loup dans sa tanière. Takros allait leur en donner pour leur argent. Il ferma les yeux et se mit à psalmodier doucement. La force de son Totem affluait en lui, lui imposant ses odeurs, ses images, ses sensations, tel un chant lancinant à l’intensité croissante. Certains des anneaux et des piercings qu’il portait sur lui se mirent à chauffer doucement, révélant par la même leur nature liée au monde astral. Lorsqu’il ouvrit les yeux il croisa le regard de Cookie et sentit sa surprise : ses pupilles, ses babines retroussées. Cookie savait, elle avait déjà vu le masque. Mais Cookie ne l’avait jamais vu comme aujourd’hui.
« Achtung ! »
Takros entendit la grenade fumigène casser la vitre et rebondir sur le plancher bien avant le cri d’alerte de Volker. Celui-ci avait déjà placé son filtre à gaz sur son visage, le faisant ressembler à un ancien Shocktruppen de série B européenne. Cookie quand a elle commençait juste à écarquiller les yeux. Les six esprits se matérialisèrent simultanément à la demande de leur invocateur. Takros les remercia de leur diligence et leur demanda leur soutien afin de défendre son territoire et sa meute ce à quoi ils accédèrent. Deux d’entre eux étaient deux immenses loups noirs à deux têtes, d’au moins un mètre au garrot. Ils se détournèrent de Takros et s’élancèrent vers la porte. Traversant le mur de part et d’autre de la femme elfe, Takros les devina s’engouffrer dans l’escalier. Cookie se sentit soulevée du sol et projetée par la fenêtre qu’elle fracassa en hurlant, illuminant la nuit d’une myriade d’éclats argentés. L’air était chaud autour d’elle et ce n’est qu’au bout de plusieurs secondes qu’elle prit conscience qu’elle ne tombait pas. Elle traversait le ciel en ligne droite vers une destination que seule Takros et l’esprit de l’air qui l’entourait connaissait. Elle mit trente secondes de plus à arrêter de le maudire, bien malgré elle.
Takros décrocha une grosse hache d’arme du mur. Volker arma son AK-97. Deux énormes blocs de marbre et de granit s’animèrent et vinrent se placer à leur coté. Le dernier esprit disparut de leur vue. Takros jette un dernier coup d’œil à son appartement et s’avança à son tour vers la porte qu’il enfonça d’un coup de pied. Pour un Chaman le passé, le présent et le futur sont aussi changeants que les flux magiques qui saturent notre monde. Pour un Chaman loup, le futur est toujours très simple et le présent une attente interminable qui le sépare de son prochain combat.
« Ok Volker. Allons faire péter la caution de ce putain d’appartement. »