Vieux Os – Old bones, par Jennifer Harding

La plage était froide à cette époque de l’année et les vagues grises venaient s’échouer sur le sable et les galets. Roan se tenait à la limite des vagues. Il ne se retourna pas lorsque le Johnson approcha et ne dit pas un mot ; il resta à contempler les vagues s’écraser contre les rochers.

« Roan je suppose ? » Le Johnson brisa le silence. Roan acquiesça. « Vous m’avez été chaudement recommandé. J’ai besoin d’une extraction, faite en douceur, cette semaine. Êtes-vous intéressé ? »

« Quelle corpo ? » demanda Roan, toujours sans regarder le Johnson. Cami l’avait scanné et Delta l’avait analysé avant même qu’il ne mette un pied sur le sable. Pas de cyberware, pas de magie, aucune arme intéressante.

« Universitaire, en fait. Sans aucune affiliation corporatiste. »

« Mmh. » Et je suis un enfant de chœur. « Volontaire ? »

Le Johnson rit doucement. « Il n’y aura aucune réclamation de se part, » répondit-il. « Je connais vos tarifs standards. J’y ajoute 20% du fait de la rapidité d’action demandée. Cela vous convient-il ? »

Roan acquiesça. Il envoya les informations de compte bancaire au Johnson, puis attendit calmement. Quelques secondes plus tard, il entendit un « c’est bon pour les nuyens, » dans son oreille. Roan se retourna, jaugea l’homme de ses yeux cybernétiques entièrement gris. Un elfe, blond, portant un manteau long hors de prix et des chaussures qui seraient bousillées par l’eau de mer. Imbécile.

« Bien, M. Johnson. Il semble que nous puissions faire affaire. Qui est la cible ? »

L’elfe sourit comme pour s’il s’agissait d’une petite blague entre connaisseur. « L’homme de Kennewick. Est-ce que je devrais connaître ce nom ? Roan envoya sa question à Cami. Je suis dessus, répondit-elle. « Vous le trouverez à l’université du Washington, » poursuivit M. Johnson, avec un sourire suffisant.

« Un professeur ? » demanda Roan. « Un étudiant ? » Quelque chose lui échappait.

Ah – Roan ? Cami l’interrompit. Pas Qui. Quoi. Roan fronça les sourcils lorsque l’info apparût dans sa RA. « Vous voulez qu’on enlève un squelette ? »

« Oui, c’est exactement ça. » Le Johnson se fendit de son plus beau sourire aux dents d’un blanc éclatant. « Vous avez mon numéro. Appelez-moi quand vous l’aurez. Oh, et soyez délicat. Il est du genre fragile. » Sur ces derniers mots, l’elfe se retourna et partit.

Roan resta sur la plage, médusé.

Bien, dit Cami dans son ‘link, au moins, celui-là ne pleurnichera pas.


Ils se retrouvèrent dans la planque de Roan. Delta partageait un squat avec une douzaine d’autres orks et n’avait aucune intimité. Cami refusait de les laisser entrer chez elle, depuis que Delta et un petit drone avaient eu un « malentendu » quelques mois en arrière. Roan vivait seul dans un deux pièces à la limite de Redmond. Le bâtiment tenait du taudis, mais les voisins se mêlaient de leurs affaires et les cafards n’étaient pas gourmands.

« Qu’est-ce que tu as pour nous Cami ? » demanda Roan.

Cami tapota son commlink de ses longs doigts, braquant ses yeux dorés sur lui.

« Pas grand-chose, » répondit-elle. « Il semble que pas mal de données aient été perdues lors du Crash. C’est un squelette, trouvé en 1996, qui est supposé dater de 8500 ans. J’ai trouvé des infos affirmant qu’il avait été déplacé vers un lieu de stockage en 21, appartenant au musée Burke de la fac. »

« Merde Roan. Je croyais qu’on faisait dans l’extraction, » râla Delta. Delta était du genre balaise, même pour un ork. Les nanotatouages en néons bleus couvrant son crâne contrastaient avec sa peau d’un noir d’ébène. « On va devenir des cambrioleurs maintenant ? »

« Tu m’as déjà fait refuser nos deux dernières offres, » lui rappela Roan. « Si on continue comme ça, on aura bientôt plus rien. »

« On était d’accord pour faire des extractions volontaires, » répliqua Delta sur la défensive.

Cami le foudroya du regard.  » Et tu crois que ce type se soucie de l’endroit où il est rangé ? » demanda-t-elle. Roan savait qu’elle avait environ vingt cinq ans, mais Cami en faisait dix de plus. Elle était clean depuis deux ans maintenant. Les drogues avaient bousillé son visage et son corps, mais elles avaient épargné son cerveau, ce qui était bien plus que ce dont la plupart des camés pouvait se vanter.

« Ça suffit, » les coupa Roan. « On a prit l’argent, on fait le boulot. Cami, pirate le lieu de stockage. Delta, va faire un repérage. »

Ils se calèrent tous les deux, les yeux clos. Delta fut de retour cinq minutes plus tard.

Le bâtiment dispose d’une barrière. Y a pas mal de monde qui traîne autour, aussi. Pas vraiment de sécurité astrale, mais j’ai vu plein d’autres types en astral – et ils m’ont vu aussi. Des étudiants, je suppose », raconta l’ork. Roan soupira, passant ces doigts dans ses cheveux coupés à la dernière mode, espérant que Cami aurait de meilleures nouvelles. Sachant qu’elle aimait prendre son temps, il envoya Delta chercher à manger. Roan étendit ses longues jambes sur le canapé et alluma la tridéo.

Quelques heures plus tard, l’humaine s’assit et s’étira. Roan coupa la tridéo et reposa son plat à emporter. Elle secoua la tête.

« Vous n’allez pas aimer ça, » dit-elle. « L’endroit n’est pas particulièrement sécurisé, des caméras, quelques gardes et des portes maglock. Le système matriciel est mou comme du beurre. »

« Alors où est le problème ? » demanda Delta.

« L’endroit grouille d’étudiants. Ils sont partout. On se croirait dans une tridéo d’horreur, » dit-elle en tremblant. Delta grogna.

« Bon, plus sérieusement. Apparemment, il y a beaucoup d’énergie de mise en œuvre pour inventorier et mettre des étiquettes RFID sur tout ce qu’ils ont. Ils mettent la base informatique à jour en même temps. Ils ont des hordes d’étudiants qui font tout le boulot. Les lieux ferment à vingt et une heures, les portes sont fermées, et la sécurité du campus les vérifie toutes les heures. Les étudiants sont de retour le lendemain dés huit heures. »

« Je ne vois toujours pas le problème, » interrompit Delta. Cami lui lança un regard furieux. « A moins que quelques vigiles universitaires en surpoids te fassent peur. »

« Le problème, c’est que l’Homme de Kennewick n’est pas listé sur l’inventaire. J’ai trouvé des infos qui attestent qu’il y a été transféré avec d’autres trucs en 21. Mais il a été mal étiqueté ou autre chose – son code d’inventaire correspond à un oiseau empaillé. Y a pas mal de trucs comme ça. C’est devenu encore pire après le Crash. C’est pour ça qu’ils remettent tout à plat.

« Si on veut trouver ce foutu machin, il va falloir passer au peigne fin tout ce merdier. Ça prendra des heures. Des jours. Des années. » Cami agita ses bras maigres d’un air mélodramatique.

« Bon, combien de squelettes peut-il y avoir dans tout ça ? » demanda Roan, très pragmatique.

« L’endroit était un débarras pour plusieurs musées qui ont fermés quand les NAO ont pris le contrôle. Je dirais peut-être une centaine ? Il y a beaucoup de pièces, différentes conditions climatiques recréées, et toutes ferment à vingt et une heures. En plus, elles sont équipées de vieux systèmes d’alarme filaires. Une vraie merde, » marmonna-t-elle.

« Quel est le niveau de sécurité dans la journée ? » demanda Roan, pensif.

« Il semble que les étudiants badgent en entrant et en sortant. Les sacoches, sacs à dos et blousons volumineux sont interdits. Rien de plus. Qui voudrait voler des nids d’oiseaux et des collections florales ? »

« A part nous ? » demanda Delta sur un ton cassant. Cami grogna.

« Dans ce cas, on agira de jour. Ça prendra quelques jours pour fouiller les lieux. Quand nous l’aurons trouvé, on reviendra de nuit pour le sortir en vitesse, » dit Roan. « Tu peux nous faire des fausses cartes d’identité d’étudiants, n’est-ce pas ? »

« Et bien, oui. Mais, Roan ? Aucun de nous n’a le – comment dire – look d’étudiant prépubère, tu sais ? » rappela Cami.

« Merde, » murmura Roan. « Delta, tu connais des dizaines d’adolescents, » dit-il plein d’espoirs. Cami et Delta se regardèrent, puis regardèrent Roan.

« On veut des boutonneux, pas des gangers. » Cami rit. Mais Roan, tu veux quelqu’un qui puisse y aller à notre place ? Tu connais quelqu’un qui se fondrait très bien dans le paysage, » lui fit-elle remarquer.

« Fait chier, » dit-il, avec un peu plus de hargne dans la voix.


 

Le cabinet de Doc Holly se trouvait plus loin dans Redmont. Elle avait un accord avec les Crimson Crushs : ils maintenaient le calme à proximité de son cabinet, elle les patchait gratuitement. Les rumeurs affirmaient qu’elle avait un accord encore plus intéressant avec les goules du secteur.

Quelques orks portant des blousons en synthé-cuir rouge le fouillèrent avant qu’il n’entre. A l’intérieur, la salle d’attente était exactement comme dans son souvenir : les chaises en plastique éparpillées, la peinture des murs partant en lambeaux, le linoléum bas de gamme recouvrant le sol. Quelqu’un avait collé un poster montrant un chiot sur un des murs. L’odeur d’eau de javel était tout juste plus forte que celle du vomi. Une ork était assise sur une des chaises, les yeux agités par un tic nerveux, le regard vide. Une autre femme essuyait nonchalamment quelque chose de rouge face à la réception. Roan les ignora toutes deux. Il s’appuya contre le mur et attendit en surveillant la porte du fond.

Au bout d’une vingtaine de minute, un ork sorti par cette porte. Un bandage couvrait une partie de son visage et l’une de ses oreilles. Sa chemise était tâchée de sang.

« Fait en sorte de garder ça au sec Taz. J’enlèverai les agrafes d’ici une semaine. » La voie d’Holly suivit l’ork jusque dans la salle d’attente. Roan sentit son estomac se serrer. Il se décolla du mur et se dirigea vers la porte.

La doctoresse était en train de retirer ses gants en latex. Elle leva les yeux lorsqu’il ferma la porte derrière lui, et leva un sourcil.

« Roan, » dit-elle calmement, de sa voix aux accents bourgeois. Ce n’était pas la voix de quelqu’un des Redmont Barrens. Ça avait été l’un de leurs arguments – parmi beaucoup d’autres. « Je ne vois aucune tâche de sang. Quel dommage. »

« Tu as l’air en forme, Doc, » lui répondit-il. Elle l’était tellement nom de dieu. Son délicat et jeune visage aux lèvres pulpeuses, ses brillants cheveux châtains à la coupe stylée. Elle n’était pas vraiment jolie, mais foutrement sexy. Ça l’emmerdait de la voir ici. Peu importe que son cœur soit aussi noir que du charbon, ou qu’elle échange des morts contre des drogues. Elle avait toujours l’air trop fraîche et trop douce pour vivre dans ces conditions sordides. Même les elfes vieillissent, s’usent et portent les marques du temps à force de traîner dans nos rues. Pas Holly. Ses pêchés ne l’avaient pas rattrapé. Pas encore.

« Es-tu malade Roan ? » demanda-t-elle, se déplaçant pour ranger ses ustensiles. « Tu as choppé l’une de ces horribles maladies intestinales ? »

« Non, » répondit-il.

« Quel dommage. Alors que veux-tu ? » Elle ne le regardait pas et gardait les yeux rivés sur un objet en métal couvert de sang. Roan la prit par le bras pour l’éloigner des scalpels et des lames. Au cas où.

« Je suis venu te demander un service Holly. Un truc facile, » dit-il. Ils avaient la même taille – bien que, comme beaucoup d’elfe, elle ait été plus svelte et d’apparence plus délicate. Elle regarda sa main sur son bras en fonçant des sourcils.

« Alors tu es venu pour le boulot ? Tu as tiré accidentellement sur un client ? »

« Non, pas cette fois. » Roan expliqua ce dont il avait besoin. Holly l’écouta, puis soupira.

« Ça te coûtera cher, Roan. Je le ferai, mais à mes conditions, » dit-elle. « Tu sais ce que je veux. » Il la regarda. Ses mains ne tremblaient pas. Ses yeux bleus étaient clairs. A cet instant précis, il se détesta. Il la détesta.

Il acquiesça.

« Alors, rendez-vous demain matin, » dit-elle avant de lui tourner le dos. Il la fixa pendant un court moment, puis s’en alla. Et s’il claqua la porte en sortant, ma foi, qui aurait pu lui jeter la pierre ?


 

« Doc est prête, » annonça Cami en se faufilant à l’arrière du van. Roan et Delta y buvaient du café en regardant le flux RA dont Cami avait équipé la doctoresse. Elle prit une tasse, but une gorgée et faillit la recracher. « Putain Delta, où est-ce que tu as acheté cette merde ? » Elle chercha à capter le regard de Roan, mais il était concentré sur le flux de données arrivant sur son ‘link. Cami soupira. Ça allait être une longue journée.

Ils passèrent la journée garés sur un parking payable à l’heure à quelques blocs de l’entrepôt. Roan se concentrait sur le flux en direct envoyé par Holly, observant ses mains gracieuses ouvrant des caisses en plastique les unes après les autres.

A dix sept heures, elle avait contrôlé plus de quarante squelettes. Aucun ne présentait les caractéristiques fournies par Cami.

« Je sors, Cami, » dit la doctoresse dans son commlink. « Est-ce qu’il faut que je revienne demain matin ? »

« Putain, Roan, » dit Cami, coupant la communication avec la doctoresse. « Tu devrais l’emmener dîner ou lui proposer quelque chose. » Roan la regarda, une expression froide sur le visage. « Ou pas, » marmonna Cami.

« Ouaips Doc, » envoya-t-elle à Holly. « On fait comme ça. Je te retrouverai au même endroit. » Cami jeta un nouveau regard à Roan.


Ce fut la même routine les jours suivants. Roan s’asseyait et ne parlait pas de la journée, tandis que Cami et Delta se chamaillaient. C’était une routine qu’ils avaient déjà connue par le passé.

Le troisième jour, vers dix heures, Holly les contacta via son ‘link.

« Je crois que j’ai trouvé notre ami, » dit-elle. D’un doigt, elle suivit la ligne du crâne puis le passa le long des dents lisses. « Combien vous payent-ils pour ce type ? » murmura-t-elle.

« Pas assez, » répliqua Cami sur un ton guilleret. « On a une identification positive ? » Holly tourna la tête et se concentra sur l’étiquette fixée autour du fémur du squelette. Avec les années, elle avait jauni. Via leur RA, ils purent tous la lire : « Kennewick, WA, 1996, Bataillon du Génie. »

« Alléluia, » murmura Delta. Cami nota l’emplacement et la liste des objets inscrits sur la caisse en plastique.

« Merci, Doc, » dit Cami chaleureusement.

« Roan, j’attends mon paiement dés demain, » répondit Holly. Delta et Cami échangèrent un regard.

« Très bien, » répliqua Roan.


Roan arrangea une nouvelle rencontre avec le Johnson, sur la plage, à deux heures du matin. A minuit, ils se glissèrent dans l’entrepôt. Cami avait raison, la sécurité tenait de la plaisanterie. Elle pirata la porte principale pour les faire entrer. Roan coupa l’alarme filaire de la pièce 7B-3. Ils prirent la caisse en plastique et partirent. La visite avait pris moins de cinq minutes.

Et pour une fois, leur « client » ne dit pas un mot.

Roan conduisit leur pick-up jusqu’à un petit parking à deux heures pile. Un grand van les y attendait, moteur allumé, garé en plein milieu. Roan se gara face à la route, l’arrière du pick-up à quelques mètres seulement de la plage. Il fit un signe de tête à Delta. L’ork ferma les yeux, s’affala quelques secondes, puis se redressa.

« C’est notre M. J, » dit-il. « Il a l’ai impatient. Il est seul. »

Roan acquiesça. « Ok, on y va. » En descendant du pick-up, il se dirigea vers l’arrière et ouvrit le hayon du coffre. Le Johnson descendit du van et se dirigea vers lui.

« Roan, » dit l’elfe. Dans le noir, ses dents ressortaient. « Vous avez été rapide. » Roan tira la caisse vers lui et l’ouvrit. Le Johnson était un elfe, Roan ne prit pas la peine d’éclairer l’intérieur.

« J’espère que c’est le bon type, » dit Roan en regardant l’elfe qui observait le squelette. « Votre description était… vague. »

L’elfe sourit. « Oh, oui. C’est le bon, sans aucun doute, » dit-il satisfait. « Je vois que votre réputation est méritée. » Roan se pencha en avant pour refermer la caisse. Quelque chose passa dans le vide, là où sa tête se trouvait une seconde plus tôt et s’écrasa contre l’arrière du pick-up. Roan se redressa en se retournant et sentit quelque chose frapper son épaule.

Il tomba en arrière, profitant de l’opportunité pour saisir le Johnson. L’elfe cria, mais Roan l’entraîna dans une roulade derrière le pick-up. Une balle déchira la tôle à deux centimètres de son visage. Roan roula un peu plus en arrière.

« Cami ? » cria-t-il mentalement dans son ‘link.

« Je suis dessus, » répliqua une voix glacée dans son oreille. Il entendit le rugissement d’un shotgun en provenance de la cabine du pick-up et coupa le son de ses oreilles quelques secondes. Le pick-up fut agité d’une secousse. Roan sortit un Predator de son holster, parcourant le parking du regard. De gros rochers descendaient du parking jusqu’à la plage. Il n’y avait personne sur la route.

« Merde, mais ils sont où ? » demanda-t-il. Au même instant, il vit une silhouette enflammée tombant des rochers sur la plage. Un point pour Delta. Roan passa en vision thermographique et se concentra sur les rochers. Le Johnson geignait à présent. Roan l’ignora – des balles lui indiquèrent dans quelle direction regarder. Il souffla, visa et fit feu. Touché. Sa cible sursauta puis fut renversée par une balle du Remington 990 de Cami.

Des pneus crissèrent derrière le pick-up. Il roula à nouveau et visa. Un van s’arrêta, porte avant grande ouverte. Il ne pouvait voir que des jambes.

« Merde, » marmonna-t-il avant de tirer à nouveau. Du sang et des éclats d’os furent projetés tandis que l’homme s’écroulait sur le sol, une jambe déchiquetée. D’autres balles s’écrasèrent sur le sol devant lui et Roan sentit quelque chose lui brûler la joue. Quelqu’un dans le van s’enflamma. Roan aperçu un visage mince et hurlant, avant que les flammes ne le recouvrent complètement. Il entendit du verre éclater au-dessus de lui et Cami grogna dans leur ‘link.

Roan se glissa sous le pick-up, puis rampa. Il pouvait voir un homme utilisant l’avant du van comme couverture Il y eut une forte explosion sur la plage alors que des munitions étaient en train de rôtir une torche humaine.

L’homme près du van se tourna dans cette direction. Roan en profita pour lui loger deux balles en pleine tête.

Il se baissa. Les cris en provenance du van étaient inhumains.

« Pour l’amour de dieu, Delta, achève le, » grogna Cami dans leurs ‘links. Roan se redressa prudemment. Son épaule le brûlait et quelque chose de chaud coulait le long de sa joue. Il survivrait.

« Ça va Cami ? » demanda Roan. Son hacker passa la tête par l’encadrement à présent vide qu’occupait la vitre arrière. Du sang couvrait son visage, trempant également un côté de sa veste pare-balles.

« Saloperie de verre. Vitre pare-balle ? Mon cul, oui ! » dit-elle, crachant du sang et des bouts de verre. « Que quelqu’un fasse taire ce connard ! » cria-t-elle.

Roan se tourna et se dirigea vers le van. Il tira une seule balle et les cris cessèrent. Il ferma la porte coulissante du van, au cas où le type portait sur lui des munitions prêtes à exploser.

« Et toi Delta ? » demanda Roan en se penchant vers l’homme dans les jambes duquel il avait tiré. Le type gémissait, les yeux grands ouverts, en état de choc. Roan lui tira une balle entre les yeux.

« Putain, j’ai déchiré, » répliqua Delta, scrutant à travers le vitre teintée. « On les a tous eu ? »

« Occupe toi de Cami, » lui répondit Roan en se dirigeant vers les rochers et cherchant du regard le corps carbonisé sur le sable. « Il y en a deux autres par là. » Il regarda le corps sans vie sur les rochers, celui que Cami avait descendu, puis vers le van, les deux corps se vidant de leur sang sur le bitume. Il ne restait pas grand-chose de leurs visages, mais suffisamment pour deviner.

« Des elfes, » murmura-t-il. Il revint jusqu’au pick-up d’un pas raide. Il se pencha sous le véhicule et tira le Johnson d’en dessous par le col.

« Tu essaies de nos entuber ? » cria-t-il, secouant l’homme. Quelque chose d’humide et de chaud coula sur ses mains, là où il tenait le Johnson.

« Gyrophares en approche », annonça Cami. Roan regarda au loin et vit les lumières clignotantes remontant dans la nuit la route menant à la plage. Lone Star. Il plongea son regard dans les yeux vitreux du Johnson.

« Espèce de fils de pute, » dit-il rageusement.


Deux heures plus tard, Delta dormait, totalement épuisé, tandis que Roan faisait les cents pas dans le salon de leur planque. Son épaule le faisait horriblement souffrir, mais il ne pouvait pas demander d’aide à Delta. Soigner Cami l’avait vidé. Le squelette était toujours dans sa caisse dans la chambre d’amis.

« Tu crois que Johnson nous a doublé ? » demanda Cami tandis qu’elle brossait le sang séché sur sa veste.

« Non, » répondit Roan. « Ils lui ont tiré dessus lui aussi. »

« Mais bordel, pourquoi quelqu’un serait-il prêt à tout ça pour quelques os ? » demanda-t-elle. Roan la regarda, ainsi que le sang faisant des mèches dans ses cheveux blonds et trempant son haut. Il avait merdé. Quelqu’un s’en était pris à son équipe. Maintenant, il voulait savoir qui.

« Je dois passer un coup de fil, » dit-il.


Roan avait fait la connaissance d’Elijah quelques années en arrière. Ils avaient partagé une bouteille d’ouzo dans un bar miteux. Pour un fouilleur de tombes, l’homme tenait bien l’alcool.

Il appela et un homme d’age moyen aux cheveux châtains attachés en queue de cheval lui répondit. A la déformation de l’image, Roan devina qu’Elijah regardait dans un commlink tenu à la main.

« Roan, » dit Elijah, après l’avoir dévisagé un moment. « Merde, toujours aussi coquet à ce que je vois. Le sang apporte une jolie touche. »

Roan promena ses doigts sur sa joue et grimaça. « Ouaips, c’est sûr. » Il haussa les épaules. « J’ai un truc à te montrer, quelque chose qui devrait t’intéresser. »

« Vraiment ? » dit Elijah. En bruit de fond, Roan entendait les cris d’oiseaux tropicaux. Roan transmis plusieurs paquets de données, dont une photo du squelette que Cami lui avait transmis.

« Tu as déjà entendu parler de l’Homme de Kennewick ? » demanda Roan.

Elijah siffla. « Mon dieu. J’avais entendu dire qu’il avait été perdu. Et on ne trouvait aucune photo de lui nulle part, bien sûr, sinon… Merde, il a quoi, 8500 ans, c’est ça ? » dit-il très excité.

« C’est ce que disent les intellos, » répondit Roan en haussant les épaules.

« Combien as-tu été payé pour ça ? » demanda Elijah, regardant toujours fixement la photo.

« Pas assez » soupira Roan. « Vraiment pas assez. »


Elijah avait promis de rappeler dans quelques heures. Roan dit à Cami de dormir un peu. Il vérifia chaque alarme deux fois, puis avala une poignée d’anti-douleur avant de s’allonger. Cami le réveilla dans la matinée. Delta et elle regardaient le journal du matin à la tridéo.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Roan, en traversant le salon. Il fit rouler son épaule, la douleur lui arrachant un tressaillement. Delta avait toujours l’air fatigué – peut-être lui demanderait-il, plus tard… Il s’arrêta face à la tridéo. Des images en direct se déversaient montrant un immeuble en feu. Son immeuble. Des gens tout juste habillés se tenaient sur le trottoir. Les pompiers n’étaient pas encore arrivés – les journalistes étaient plus rapides que les services publics.

« Les enfoirés, » siffla-t-il.

« Mais Roan, comment ont-ils su ? » demanda Cami. Roan la fixa du regard.

« On décolle, Cami, » dit-il.

Delta traînait la caisse dans le garage quand quelqu’un déclencha l’une des alarmes de proximité. Roan s’accroupit au pied d’un mur, sortant son arme. Cami se pencha hors de la cuisine et articula silencieusement « elfe ». Elle fit ensuite demi-tour et courut vers Delta. Roan entendit un bruit de verre cassé. Il courut rejoindre son équipe. Delta et Cami étaient dans le pick-up. Elle le dirigeait déjà vers la porte du garage quand il sauta derrière le volant. Il secoua la tête, un sourire sadique sur les lèvres. Il projeta le véhicule à travers la porte en plastique. Roan aperçu brièvement le visage à l’air effaré d’un elfe avant de ressentir un choc satisfaisant tandis que l’elfe disparaissait de sa vue. Quelques balles ricochèrent sur le côté du pick-up tandis qu’il sortait dans la rue en dérapage contrôlé. Le vent s’engouffrait en sifflant par la vitre manquante derrière lui.

« Delta, vérifie si on est suivi, » dit-il, prenant un autre virage serré. A l’arrière, la caisse glissait d’un côté du véhicule à l’autre en heurtant les parois. Cami se cramponnait de toutes ses forces à sa portière.

« Roan, des drones seront sur toi d’ici peu de temps,’ dit-elle, fermant les yeux tandis qu’il prenait un nouveau virage à gauche et zigzaguait entre les voitures.

« Rien en astral, » rapporta Delta.

Cami ouvrit les yeux, aperçu une nouvelle intersection et les referma, toujours agrippée. « Il y a un van gris qui nous suit, » articula-t-elle les dents serrées.

Delta regarda derrière eux, un rictus sur les lèvres. Une rafale de vent souleva des feuilles et des ordures éparpillées le long de la route. Le van gris fit une embardée en luttant contre le vent et percuta de plein fouet une berline rouge.

« Plus maintenant, » dit-il, satisfait.

Roan ralentit et prit le prochain virage en respectant la limitation de vitesse. Il serpenta de rue en rue en choisissant des parcours peu fréquentés. Les maisons cédèrent bientôt la place à des magasins et à des immeubles. Beaucoup des magasins avaient été incendiés. Les bâtiments qu’ils passaient étaient décorés de graffitis et avaient des fenêtres cassées ou des carreaux manquants. La route devint plus cahoteuse, semée de nids de poules et de débris de béton. Roan passa le pick-up en mode 4×4.

« Où tu nous emmènes là, Roan ? » demanda enfin Cami. Elle regardait les orks portant des vestes rouges qui traînaient à chaque coin de rue, fumant et scrutant les alentours.

« Je veux demander à cette salope pour combien elle nous a vendu, » dit-il. Il s’arrêta devant une rangée de magasins dont tous sauf un étaient abandonnés.

« Vous deux, passez par derrière. Je passe par devant, » dit-il, le cœur battant à tout rompre. Il dégaina son pistolet, le tenant nonchalamment le long de sa jambe alors qu’il passait la porte. Ses sentinelles n’étaient pas là. Quand il poussa la porte, Roan compris pourquoi.

A l’intérieur, l’odeur du sang, parmi d’autres plus fortes, était suffisamment puissante pour lui arracher un haut-le-cœur. Deux orks portant les couleurs des Crushs étaient étendus sur le sol. Leur sang avait formé des flaques noirâtres sur le linoléum sale. Une humaine et un vieil ork étaient avachis sur leurs sièges. Du sang avait éclaboussé le mur derrière eux.

Roan leva son arme, puis la rabaissa, les mains tremblantes lorsque Delta apparut par la porte de la salle d’examen. Cami le suivait, son shotgun posé sur l’épaule. Elle secoua la tête.

Roan se retourna et frappa le mur du poing. Des éclats de plâtre volèrent en tout sens, comme des os à travers la chair. En silence, il sortit et remonta dans le pick-up.

Il conduisit sans un mot jusqu’à un motel miteux. Le genre de motel disposant d’un système de check-in automatisé et de chambres payables à l’heure.

« Cami, » dit-il sèchement.

Elle se renversa sur son siège et ferma les yeux. Quelques minutes plus tard, elle fut de retour. « Chambre 17 » dit-elle. Roan conduisit le véhicule sur la place numérotée 17 et descendit. Delta toucha l’épaule de Cami, puis s’occupa de décharger la caisse.


Elijah fut le premier à appeler.

« C’est la trouvaille du siècle, Roan. J’ai hâte de la voir de mes propres yeux, » dit-il.

« La situation est devenue un peu brûlante, Elijah. Je ne vais pas garder ce nid à emmerdes pour toi, » répliqua Roan.

« Ok, ok. A une époque, tu n’étais pas contre un peu d’action, » dit-il en souriant. « Je ne doute pas qu’une fois que l’info aura transpirée, disons, dans certains cercles, tu n’auras plus de soucis à te faire. Il n’y aura plus d’intérêt à te mettre la main dessus une fois que le secret sera éventé, n’est-ce pas ? » Elijah ricana. Roan lui lança un regard furieux. « Euh… j’ai eu des contacts avec des collègues qui seraient ravis de t’en débarrasser. Comme d’hab, ils sont fauchés, donc ils ne peuvent rien offrir en contrepartie. Mais ils diffuseront des photos et des documents aux bons interlocuteurs. Tu fais profil bas pendant quelques jours et les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. »

« Parfait,’ dit Roan. « Donne moi un lieu et une heure. »

« A minuit, ce soir, » répondit Elijah. Il lui envoya une adresse. « Emmène le derrière. Deux gars t’y attendront, probablement en essuyant des larmes de joie. J’aurais vraiment aimé pouvoir être là également. »

« Tu peux m’expliquer en quoi ce foutu tas d’os pourrait intéresser qui que ce soit ? » demanda Roan.

« Merde, Roan, ça ne t’as pas sauté aux yeux ? Jettes un œil à – » un appel entrant clignota sur le commlink de Roan. C’était le numéro d’Holly.

« Super, » dit Roan en déconnectant Elijah. « CAMI ! » cria-t-il. « Localise cet appel ! » Et il répondit.

Holly le regardait. Ces jolis yeux bleus étaient trop brillants, un hématome était visible sur sa joue pale. Ses lèvres, ces lèvres si sexy, saignaient. Son haut était déchiré, et elle le plaquait contre elle de ses mains tremblantes. Roan serra les poings.

« Je suis désolée, Roan, » dit-elle. Sa voix tremblait. Elle leva les yeux et regarda au-delà de la caméra, et frémit. « J’ai cru… » Ses yeux se détournèrent, puis se fixèrent à nouveau sur l’objectif. Roan connaissait ce regard. Quelqu’un, peut-être Holly elle-même, avait injecté de la drogue dans ses délicates veines.

« J’ai cru qu’ils apportaient… qu’ils apportaient ce que tu avais promis. »

« C’est pas grave, Holly, » dit-il doucement. Il sentait une rage destructrice monter en lui. Elle cacha son visage derrière ses élégantes mains tremblantes. L’image devint noire.

« Amenez-nous l’Homme de Kennewick, » dit une voix mécanique. « A minuit, ce soir. Nous vous rendrons le joli docteur. Nous pourrions même ne pas lui faire de mal d’ici-là. » La voix ria. Roan ravala un juron. « Nous vous appellerons à vingt deux heures. Attendez près de la plage, comme l’autre soir. Nous vous dirons où vous rendre, non loin de cet endroit. Vous aurez peut-être à rouler vite. Si vous êtes en retard, nous devrons peut-être nous divertir avec votre amie. » La connexion prit fin.

Roan se retourna, cherchant Cami, de la sauvagerie  dans les yeux.

« Dis-moi que tu l’as localisé, » dit-il. Elle recula d’un pas, levant les mains. Roan réalisa qu’il avait son Predator à la main. Il le regarda l’air incrédule et le jeta sur le lit.

Delta les fit sortir et monter dans le pick-up pour reprendre la route. Quand il finit par s’arrêter dans un parking vide, il était déjà tard.

Assis, la voiture plongée dans l’obscurité et le froid, Cami et Delta regardaient Roan.

« Tu sais, Elijah a raison, » dit finalement Cami. « Une fois que ça se saura – quoi que « ça » soit – ils arrêteront de nous poursuivre. »

« Ils la tueront, » dit Roan, calmement. Il regarda son équipe. Les implora. « Ils la tueront après l’avoir – » il s’arrêta. Cami posa une main sur son épaule.

« Roan, si nous allons à ce rendez-vous, ils nous tueront aussi, » lui fit-elle remarquer. « Ils nous attendent, ils seront prêts. Nous nous jetterions dans la gueule du loup, nous le savons. Ils le savent. Tu crois qu’on peut les avoir. A trois contre… contre combien ? » Roan regarda Delta. L’ork remua sur son siège, mal à l’aise.

« Je suis d’accord avec Cami, » dit-il. « Ecoute Roan, c’est ta copine. Enfin c’était. Mais merde ! Si on y va, ils vont nous tomber dessus. Si on l’amène aux potes d’Elijah, ils feront passer l’info, et la pression retombera. »

Roan les regarda. Cami et ses cicatrices toutes fraîches, petites marques roses mouchetant son visage. Delta, sa peau noire brillant de transpiration malgré le froid. Il travaillait avec Delta depuis plus de deux ans, Cami à peine moins. C’était son équipe. Son boulot consistait à assurer leur sécurité, à les garder en vie. Dans les ombres, seule votre équipe compte. Les amis et la famille ne font que vous ralentir. Ils vous affaiblissent.

Et personne plus qu’Holly ne l’avait rendu faible.

« Roan, c’est toi qui décides, » dit Delta. « Je te suivrai dans tous les cas. » L’ork regarda Cami. Elle soupira.

« Ouaips, ouaips. Pareil pour moi. Bordel, on va leur rentrer dans le lard, on va les faire chialer comme des gamines, » dit-elle en frappant son épaule. « Mais il vaudrait mieux qu’on y aille, il ne reste qu’une heure dans les deux cas. Il est presque vingt trois heures. »

Roan les regarda à nouveau tous les deux. Il n’y avait pas de place pour les amis ou la famille dans la vie d’un runner. Pas de place pour l’amour. N’était-ce pas pour cette raison qu’il avait claqué la porte d’Holly la première fois ? Parce que la regarder bourrer ses veines de drogue le tuait à petit feu, tout comme ça la tuerait elle au final ? Parce que s’inquiéter pour elle l’empêchait de se concentrer sur le boulot ?

Et s’il était prêt à mourir pour elle, comment pouvait-il entraîner son équipe là-dedans ? Cami, Delta. Ils le suivaient partout, ils le suivraient une fois encore. Ils lui faisaient confiance pour prendre la bonne décision, comme il l’avait toujours fait. Mais qu’est-ce qui était bon cette fois ? Sacrifier Holly, les laisser la torturer, ou entraîner son équipe dans un piège ? Choisir – n’en revenait-on pas toujours à ça, choisir ? Mais cette fois, une seule des solutions le laisserait en vie. Préférait-il vivre dans la culpabilité, ou mourir avec ? Roan poussa Delta de son siège et se glissa derrière le volant du pick-up. Il enclencha la première et s’engagea sur la route.

« On va où ? » demanda Cami.

« Faire ce qui est juste, » répondit-il en s’enfonçant dans la nuit.