Le Rapt

spoiler

Il n’était même pas 10pm, quand G-Storm ouvrit les yeux, la chambre dans laquelle il fêtait sa libération anticipée n’était pas exactement le palace qu’il s’imaginait au fond de la cellule 865-885N.

C’était le vieux néon rose complètement anachronique du snack d’en face qui l’avait réveillé à travers le store, il avait raté le soleil, putain après cinq ans sans voir le ciel…

Ça puait la sueur, la bière et le sexe.

Il faut dire que les rues crades de Tarislar n’étaient pas l’endroit idéal pour chercher un petit coin de paradis, sauf en paquet discret à 50 nuyens la dose.

Il avait vraiment fantasmé mieux dans sa piaule, pour sa libération…

Pareil pour Trish, sa chirurgie plastique spéciale Maria Mercurial était visiblement un échec ou alors Maria après un match de combat urbain contre Linda « BangBang » Varoslav.

C’est vrai qu’elle ne prenait que 12 nuyens de l’heure, mais fallait bien avouer que personne n’aurait payé plus, son mac n’y allait pas de main morte, il respectait même pas l’étiquette des princes du macadam : « Jamais la gueule », elle avait deux chicots en moins et le nez cassé, et une de ses foutues oreilles d’elfe coupée.

En plus elle terminait sa nuit sur une BTL périmée, la bave au coin des lèvres, ils s’étaient défoncés une bonne partie de la nuit, il avait eu son compte depuis un moment, et elle restait branchée, après ce qu’ils s’étaient enfilés comme puces cette nuit ça devait être une sacrée junkie.

Après 5 ans passés aux frais de Lone Star, G-Storm n’allait pas se plaindre, le truc le plus sexy qu’il avait vu là-bas c’était une matonne ork « Frida » qui quittait jamais son casque de sécurité et qui oubliait systématiquement de changer la charge de son électro-matraque quand elle passait d’un Troll à un gabarit plus modeste…  » On est tous égaux hein jolie face d’elfe…. »

Elle avait un faible pour lui cette grosse Trogg, pour les elfes en général, elle y allait de bon cœur, mais bon elle était pas raciste, les orques prenaient largement leur dose…

Son commlink était bourré de spams, pas étonnant en passant la soirée dans le quartier rouge de Tarislar, une putain de nuit quand même, bon il en avait zappé la moitié entre le syntalcohol et les beetles mais ce qu’il lui en restait bougeait plus qu’un morceau des Speed Comas.

Quoiqu’il en soit, il était raide, il était rentré avec 7550 Nuyen au centre Lone Star, bien sûr en payant la tridéo 25 nuyens par mois, le linge 4 nuyens, la bouffe et les médocs hors de prix, en plus les enculés de LS, ils faisaient payer le traitement hebdomadaire de nanites pour détecter le rush d’adrénaline qui précède le lancement d’un sort et au cas où balancer des somnifères à dose de cheval. Payer pour se faire enlever son mojo, pourquoi pas faire payer la note d’électricité pour la chaise.

Après une soirée pour fêter sa libération G-Storm était plus raid qu’un Corpo de Cross Applied Technologie après le crash 2.0 de la matrice, il avait même pas de quoi payer la chambre miteuse qui avait hébergé sa nuit avec Tammy ? Sally ?…ouais Trish.

Il enfila ses lunettes RA imitation Gucci aussitôt le mur fût assailli par des vidéo-spam pornos, des faux messages d’amour de racoleuses du coin, trois virus, une réduction de -15% pour une chirurgie plastique humanisante, -20% pour les trolls !!!
Le mur était complètement saturé d’images qui polluaient sa boîte mail…

Spam !!! L’invitation au Kitty’s.
Spam !!! La soirée gratuit pour les filles au Raven’s hall.
Spam !!! La vente flash de Softs de l’échoppe de Ned, tous les Softs à prix soft.
Spam !!! Cerbere, N1002-040 Bloc B…..

Non…recul rapide, Bloc B, le 040, Flint l’orque samouraï…non pas lui….son codétenu, le Jap qui dormait jamais, le Hacker….

Il avait promis de rendre un service à G-Storm à sa sortie en échange de la protection de Ancients….

Son enregistrement tridéo était impeccable et sa ligne sécurisée, il appelait soit disant de Berlin….
« Salut omae, bienvenu dehors, l’air est toujours aussi pourri, les flics Lone Star SS (Sécurité Service.). Toujours la matraque aussi lourde sur les sinless, je t’invite au Sushy’s heaven ce soir j’ai un ami à te présenter, il pourrait bien avoir du boulot pour nous, avant ça, passe à l’Underworld 93, recrute deux personnes, y’a toujours des paumés qui croient que les Johnson recrutent vraiment à l’Underworld de nos jours, pas le temps de trier sur le volet, choisis les pas trop cons quand même. »

Après tout avait été assez vite, la super gonzesse de l’Underworld qui lui avait laissé son codecom et son chewing-gum, l’orque qui l’avait rembarré au bar, elle cherchait des yeux les costards ça faisait pas un doute… En plus son aura était éveillée, pas une mage ni une chamane, une adepte peut-être.

Cinq minutes de parlotte et elle ne parlait toujours pas de ses exploits réels ou supposés, ça s’annonçait plutôt pas mal, elle avait par contre une putain d’accent du pays du Nem.

Pas vêtue à la mode de Seattle, en même temps après 5 ans habillé comme clown par Lone Star il allait pas se risquer à faire une remarque sur son short lycra rose et les dentelles dans ses cheveux, elle était sapée comme une star de J-pop, les flingues en plus.

Comment elle avait fait rentrer ses craches plombs dans une boîte pareille…

Elle venait direct de Hongkong, pas étonnant qu’elle cherche un job dans un nid à Johnson aussi cliché, quel touriste manquerait la Tour machin à Paris, ou la pyramide à Tenochtitlán…

Elle était calme et déterminée, en plus, ce qui ne gâchait rien, elle était plutôt pas mal pour une orque, bon bien sur les crocs ça bloque toujours un peu quand on a pas l’habitude, mais à côté de Trish elle avait pas à rougir…

La piste s’enflammait, et tout le monde trouvait ça normal, un moment il avait failli paniquer, cinq ans au trou, la RA avait toujours son petit effet sur lui…

C’est à ce moment-là qu’il a remarqué le gamin en face du Cutters, comment on pouvait porter aussi mal un costard, ça s’était le plus grand mystère de ce gang de merde !

Un soir avec ses potes des Ancients il en avait cramé deux qui jouaient les starlettes à Puyallup, ils se prenaient pas pour de la merde les Cutters…

Ils portaient le costard pire que les Yaks à la petite semaine de Redmond, et eux ils arrachaient leur manche pour laisser voir leurs muscles cultivés en cuves et leurs tatouages holographiques…

Le Cutters bousculait le mecton avec un air de « toi si on partageait une cellule je te borderais tous les soirs ».

C’est là que le gosse a pété un plomb. G-Storm, comme souvent quand la pression autour de lui montait, était passé instinctivement en perception astrale, il avait jamais vu un tel rush d’adrénaline, l’aura du gamin débordait de tous les côtés, une éruption de violence, si il avait pas perçu les ombres grises dans son essence, il aurait paniqué, des implants…pas de câble, ni de réflexes augmentés…ça passait par le cœur….on arrêtait pas le progrès…

Le gosse semblait aimer les Cutters au moins autant que G-Storm, une lame dans le gosier c’était pas un geste d’amour…une boutonnière en souvenir, un deuxième sourire ça lui ferait pas de mal….
Les caméras de sécurité semblaient éviter le petit nerveux, G-Storm ne croyait pas aux miracles, le gosse cachait bien son jeu avec son jean sale et son T-shirt de poseur Orque, il trafiquait les ondes ou quelqu’un le faisait pour lui….

Il tirait le Cutters par les épaules vers la porte des chiottes juste derrière lui, personne remarquait son manège, faut dire que le DJ elfe, un métisse de « Pasadena FreeCal », faisait un malheur…

Ils le suivirent dans les chiottes, il était en pleine crise de speed, il tremblait, bafouillait, il avait foutu le Cutters dans un chiotte la tête sur l’émail de la cuvette.

Il avait les larmes aux yeux.

« Eh merde il l’a cherché putain de Norm !!! J’ai mis sa truie de cousine en cloque, putain, je pouvais pas savoir que ce peau douce de merde me trouverait si vite !!! »

Il était complètement tilté, il se retourna vers le Cutter qui semblait sourire aux anges la gueule sur le chiotte.

« Je t’ai bien Hez après avoir pluggé ta cousine, hein ! sale baltringue ! »

Il se mit à faire les cent pas à moitié en train de rire et de pleurer, l’adré chutait comme si son corps avait décidé de tirer la chasse, son aura passait du rouge vif à un vert maladif, il prenait sa fin de trip en pleine gueule…

« Faut que j’appelle D-Wagon, il va claquer c’connard d’urgli…. Putain, faut que je me tire, skraa ! J’m’arrache… »

G-Storm savait qu’il faisait peut-être une connerie, sûrement même, mais il voulait bien vendre la gauche aux dealers d’organes et donner la droite à manger aux rats du diable si le môme était pas maillé, et il avait besoin d’un mec comme lui, bon fallait supporter ses jurons en Or’zet, et son caractère explosif mais bon on passe pas chevalier chez les Ancients sans un minimum d’entregent avec les sociopathes…

« J’ai besoin d’un mec comme toi pour un job vite fait, on s’casse avant que la cavalerie arrive…t’a vraiment appelé les secours ??? »

Il l’avait fait… le con, ça avait faillis mal se finir : à la sortie ils étaient attendus par deux videurs de l’Underworld, c’était passé tout juste, heureusement le gamin avait sifflé son Van, une espèce d’épave rouillée à la pluie acide et holotaggée de partout…

L’orque était passée au dessus des deux gorilles aux hormones qui les attendaient de pied ferme, avant que G-Storm ait pu dire un mot, elle avait entamé une volte dans les airs, dégainé ses flingues, et fait péter une balle explosive dans le genoux d’un des deux Trolls videur, le gamin passait en glissant entre les jambes du deuxième, super avec son PAN allumé et son SIN de criminel il était bon pour replonger aussi sec…

Il fallait réfléchir et pas se planter….et puis merde, il fit exploser la mana….et boum 250kg de troll qui voltigent… agression magique de deuxième catégorie, violation de l’interdiction d’incanter…. Il était bon pour 15 ans minimum….

Little Asia, Tacoma, un foutu bordel bouddhiste, avec des Spam qui giclaient de partout, des poulets en cagettes sur des vélos qui traversent des rues bondées, des odeurs de Ramen, des lampions, vrais, en RA ou dans l’astral, des affiches papier en mandarin, des spot pub de Wuxing en cantonnais, des insultes en coréen, bousculades, files d’attentes à l’entrée des boîtes, taxi, pluies acides, parapluie-espace-pub loués aux corpos, double, triple affichage de la RA, mandarin, coréen, cantonais, espagnol, anglais, messages audio qui dépassent le seuil de db autorisé pour les pubs….TROP !!!!

Le Sushy’s heaven était un havre de paix, calme, vide avec le PAN coupé, on pouvait presque se détendre, le patron, un certain Dead Tiger, roulait des makis en discutant avec Cerber, il avait pas changé, le matricule N1002-040 Bloc B souriant comme un maton, pas rasé et l’air sorti d’une nuit blanche.

Il portait un cuir véritable, noir avec des franges sur le côté, des bottes de combat, et un T-Shirt thermoformé en plastex.

Il avait les moyens…ça se voyait, du vrai cuir, ça valait une fortune, même en vache clonée.

Il était sortis deux ans avant G-Strom ça lui avait réussi.

Le vieux roulait son riz calmement, il portait une chemise hawaïenne, un bandeau très serré noué à l’ancienne comme les serveurs dans un des Sushy-bar du centre-ville.

Son majeur avait grandi en culture d’organe, ça se voyait en astral, et au petit renflement de peau qui faisait le tour du doigt à l’endroit où il se l’était coupé….un yak, ça faisait pas un pli… enfin un repentis sûrement, pourquoi un japonais ouvrirait un restaurant en plein Little Asia si il était pas fâché avec son Oyabun…

Des japonais ça ne courait pas les rues à Little Asia, ça pouvait même être dangereux.

Tao, l’orque de Hong Kong, commandait un menu pour deux et discutait en espagnol avec le vieux, le gamin vidait une bière en matant les putes malaisiennes en face du restau.

G-Storm saluait son ex-voisin de cellule, selon l’étiquette carcérale des Ancients, le japonais derrière son bar le dévisageait, ça ne lui plaisait pas…

Miss Johnson attendait dans un restaurant à Tacoma, le Purple Haze, un azzie avec Rattlesnack, Burritos, tacos et chilli à la carte.

Le vieux ne garantissait pas Johnson mais comme il ne les garantissait pas non plus, ça lui semblait cool, en plus Johnson était pressé, pas le temps de faire la fine bouche.

Ça arrangeait tout le monde, le vieux promettait que si ça se passait bien, il leur trouverait des trucs cleans, G-Storm le croyait comme il croit son fourgueur de puce quand il lui dit qu’il l’a bien servi….

TJ tapait la discut’ avec Tao, il la branchait sur la fraternité orque, et la nécessité des frères à s’unir, elle le regardait avec un mélange de méfiance et d’intérêt, à Hongkong, il devait pas y’avoir cette vague de normaux qui se prennent pour des orques qui polluaient Seattle depuis l’émergence du « Goblin Rock ».

Le restau avait un grand parking, il était placé entre deux immenses bio-fermes sous serres, un petit air de campagne sous cellophane avec toujours un arôme bien pollué qui piquait le fond de la gorge.

Le restau avait un standing, ils sentirent dès l’entrée aux regards des complets-gris qu’ils juraient autant qu’une mouche à merde sur le scalpel d’un chirurgien au bloc.

Mr Johnson était en fait Miss Johnson, elle n’aurait pas démérité sur le podium Miss UCAS, des yeux vert profond, en amandes, une japonaise, plutôt grande, les cheveux coupés courts, un Datajck sur la tempe.

G-Storm était sous le charme ; bon, il avait été sous le charme de Trish mais il sortait de cinq ans de taule et avait déjà pris deux BTL dans la gueule et plusieurs bouteilles de syntalcool…

Là, il était clean et vraiment sous le charme, pas simplement vrillé par ses pulsions.

Elle proposait 38 000 nuyens pour un travail rapide : 48 heures, trouver une cible, l’extraire, et la déposer dans un bar du centre-ville à une équipe relais qui prenait le colis en charge.

Personne ne prenait l’initiative de négocier le tarif, pourtant G-Storm savait qu’elle était pressée et qu’elle ne pouvait pas se permettre de perdre du temps à trouver une autre équipe…mais bon, il ne se sentait pas de négocier.

Même quand elle avait sorti la photo, il avait pas bronché : une gamine, en tenue d’écolière, une asiatique de onze ans pas plus, un sourire innocent, une barrette Little Kitty dans les cheveux. Y’avait que la photo, pas d’adresse pas de piste, rien… et 48h pas plus. Elle leur avait fait avaler la pilule sans aucun effort, ça devait se sentir qu’ils avaient un sacré besoin de cash…

L’orque écoutait d’un air concerné en terminant son troisième plat de sojcarné. TJ plongeait dans son décolleté avec la camera de surveillance du restau. C’est à la sortie que tout a commencé à merder.

Pas le temps de faire une bise à Miss Johnson, qu’arrive une vieille Buick de 69, chromée, avec de la fourrure sur le volant, des amortisseurs hydrauliques qui faisaient sauter l’avant de la caisse comme un chien amoureux sur une botte.

Les Chulos. G-Storm ne pouvait pas se tromper, et si le Narco Corrido qui beuglait à leur radio n’évoquait pas un Drive By, il voulait bien être pendu par les cojones, ça allait chauffer dans le voisinage…

C’est Tao qui a tout de suite compris que c’était à eux que la chanson était dédiée, plus précisément à Johnson. Une camionnette, la Buik et un connard d’orque à la face vérolée étaient en embuscade à la sortie du Purple Haze. Avant qu’il ait pu dire un mot, Tao voltigeait en dégainant ses flingues, l’orque, caché entre deux cactus en synthé-plast, enfonçait sa lame dans le joli tailleur de Johnson en lui gueulant « La puta madre lady Jade, puta gringa, Chulos prend ta vie ». Ça voltigeait de partout, les balles, les crissements de pneu, un accident, un cri de douleur, trois minutes et un sort plus tard, il se trouvait les mains sur la gorge de la jolie Johnson qui se vidait de son sang, ça pissait de partout. À l’arrière du Van, ils n’entendaient que les crissements de pneu et les balles qui entament la tôle en staccato irrégulier.

Elle avait dit un mot avant de fermer ses jolis yeux : « Zhang ». G-Storm reprit ses esprits en se collant un StimPatch sur l’épaule, rien de méchant : des bleus et des bosses ; par contre Tao avais pris la Buick de plein fouet et une balle avait traversé sa cuisse….

Espérant que TJ conduise mieux qu’il ne parle, il poussa sa gueulante.

« On se calme !!! Cerbere viole le Commlink de Johnson. Trouve où crèche ce Zhang, Tao occupe toi de Johnson, je vais m’occuper d’eux…TJ ouvre-moi cette putain de porte et mets-nous à l’abri ! »

La porte latérale du Van s’ouvrit dans un glissement violent, la rue défilait à toute vitesse, et dehors on entendait les Sirène de Lone Star.

Tao le regarda d’un air mauvais, jura en argot cantonais. « Tu la tiens, bouffeur de pissenlit, je suis pas nurse, mon truc c’est les flingues. »

Pendant qu’ils s’engueulaient, un roto drone surmonté d’un gyrophare se mit en vol stationnaire juste en face d’eux. Il les braquait et déclamait leur droit en RA sur leur Commlink. Avant qu’ils aient pu faire feu, G-Storm avait fait durcir l’air entre eux et le Drone.

Tao, elle, lui poquait la carlingue de deux balles explosives, pas assez pour descendre l’engin, mais à cette vitesse l’impact envoya valser le drone léger sur un réverbère qu’il embrassa dans une gerbe d’étincelles.

Cerbère s’était maillé, avait grillé le RIFD du Van et orienté les patrouilles LS à l’autre bout de Tacoma, et il avait trouvé Zhang…

Un arrêt dans un garage miteux, quelques soins sommaires, un coup de taser au patron histoire d’être tranquilles.

Le hacker expliquait à G-Storm que LS lui avait laissé un souvenir gravé sur l’os de l’omoplate, une plaquette RIFD de quoi trianguler sa position au moindre écart pendant sa probation…il fallait opérer à l’ancienne et tout ce qu’ils avaient, c’était le Soft d’étudiant en médecine téléchargé par Cerbère et les outils du garage…

Le StimPatch faisait toujours effet mais, franchement, en voyant le hacker blême s’approcher de lui, l’air pas franchement sûr de lui, il avait préféré faire un saut dans l’astral pour voir l’opération de haut, prendre de la distance, planer un moment…

Un coup de peinture, une réparation sommaire de la tôle, juste de quoi avoir l’air clean, le Van était en route.

Retour à Little Asia. Zhang vivait dans une échoppe traditionnelle coincée dans une rue bien pourrie, il vendait des écailles de tortue de mer, et du pénis de tigre en poudre, un vrai foutoir, ça puait l’encens et la poussière.

Johnson allait s’en tirer mais ça prendrait du temps. Le chinois rafistola Tao, qui sombra rapidement…

Médecine chinoise nouvelle génération, la magie en plus ça faisait toute la différence ; évidemment y’avait encore des accros de l’acuponcture…mais ils avaient pas le temps de jouer au porc-épic. G-Storm lui voulait parler aux esprits, il avait peu de temps devant lui, Cerbère était déjà branché et surfait en silence à l’arrière du Van, le gosse bouffait les nouilles que le vieux avais laissé sur le comptoir, y’avait du sang partout.

La gamine s’appelait Catherine Westmore, ils avaient fait des ronds de jambes dans tout Seattle pour avoir les infos, c’était la gosse d’une scientifique corpo, du lourd, recherche et développement de Federated Boeing. Dona Westmore était friquée, elle avait sa table dans de nombreuses boîtes de Little Asia, étrange pour une Gaiijin, mais bon sa fille était métisse. Pas de trace du père par contre, personne n’avait vu Dona pendant deux semaines, elle était même tricard depuis quelques jours des boîtes qu’elles fréquentait.

Cerbère avait hijacké la maison, il avait filmé par les caméras de sécurité, la gamine était bien là mais pas toute seule, maman avait payé du muscle pour servir de chaperon… Le Hacker s’était fait repérer par le service de sécurité matricielle loué par les Westmore, plus possible de capturer la cible à domicile. La matrice était truffée de glace, et une patrouille de flic à louer de Knight Errant était postée au cas où dans le quartier.

Décidément, Dona Westmore ne prenait pas sa sécurité à la légère. On ne se paye pas comme ça un Ex des forces spéciales des UCAS, la vie de Dona n’était pas le long fleuve tranquille qu’on promet aux scientifiques corpos, elle avait merdé quelque part et il était temps de payer l’addition…

Ils travaillaient peut-être pour le père de Catherine…ou pour un concurrent de Federated Boeing. Une chose était claire : Dona s’attendait à quelque chose et elle avait mis les moyens pour s’en prémunir. Frost, Mac Pherson de son vrai nom, ex leader d’équipe d’assaut des Forces spéciales des UCAS, avait monté un groupe de Shadowrunner : les Trinity, ils avaient brillé quelques fois dans les ombres y’a quatre, cinq ans, et ils s’étaient rangés des voitures, il travaillait à temps plein en tant que garde du corps. Bon, il avait dû voir son salaire à la baisse, mais les temps étaient durs à Seattle.

Leur Johnson, « Lady Jade », travaillait en free lance, malgré ces manières de Yak, elle vivait solo, étrange ; en tout cas, elle s’était taillé la part du lion dans le trafic d’armes de Seattle, un si gros marché pour une femme seule et c’était pas la vente de bonbons…Elle menait une vie dangereuse et la rue s’était rappelée à elle, armée d’un rasoir et avec une haleine parfum tequila. Elle avait échappé à la cravate colombienne de peu, espérons qu’elle s’en souvienne le jour de paye…

Deux mondes qui se clashent, une corpo tranquille et le monde de la rue de Little Asia… Ce qui emmerdait G-Storm, c’est qu’en plein milieu du foutoir, y’avait une gamine qui était pour rien et que lui il était payé pour l’enlever….

Ça puait l’embrouille, il aurait peut-être dû rester à vendre des BTL et à protéger son coin de rue crade de Tarislar pour les « Ancients », c’était plus clean comme job : défonces gratuites, et y’avait les fiancées du gang….

Il devrait peut-être parler à son enculé de cousin ; avec son appui, il pourrait peut-être rempiler, reprendre sa place dans la rue… La BTL se terminait, la nuit touchait à sa fin, l’esprit lui avait parlé dans son sommeil, personne ne veillait sur elle dans l’astral…C’était déjà ça…

Six heures, Seattle se lève, les drones d’entretien récurrent la rue au karsher, les filles saluent leur dernier micheton au coin de la rue, comptent avec envie combien elle pourront s’en mettre plein le crâne avec les fruits du turbin, les mac font la moisons, le soleil se lève timidement entre deux nuages toxiques, les zombies corpos se mettent au travail après leur Tai-chi collectif quotidien.

Il reste 35 heures entre eux et les 38000 nuyens, une longue journée…


Le plan était simple, ça se passerait à l’école élémentaire Holm. Le Hacker, Cerbère, convoque la gamine au bureau administratif, grâce à son accréditation de sécurité, ça devrait être du gâteau.
Il pourrait entrer dans le bâtiment avec G-Storm et Tao, l’orque Hongkongaise ; TJ, le gamin interfacé, resterait seul sur les marches pour dompter les deux drones de Lone Star en faction.
Le domicile des Westmore était sous haute surveillance : Cerbère avait été grillé par les glaces à louer de l’ordinateur du domicile, l’alerte avait été donnée et le foyer grouillait de vigiles.
Sa plongée avait au moins permis d’identifier le garde du corps, « Frost ».
Mais il ne leur restait plus que l’école pour extraire la cible.

Ils avaient fait une reconnaissance, devant l’école : deux drones patrouillaient à l’entrée, c’était des drones de Lone Star, l’école privée avait un contrat privilège.
Ils étaient en mode autonome et scannaient les entrants.
Garée en face du bâtiment au milieu d’autres véhicules, une américaine, bien entretenue, mais en fin de vie, attirait leur attention. Elle dénotait, faisait tache.
Ils étaient passés trois fois, faisant le tour du bâtiment, lentement avec le van, et s’étaient garés sur le bas côté, ils étudiaient la possibilité de déclencher une fausse panne juste en bas des escaliers.
C’est à ce moment que Frost s’est invité. Un gaillard blond, le visage mal taillé, les traits profonds, le nez cassé, les yeux comme un ciel d’hiver. Un costume bas de gamme, trop juste pour sa carrure, des pompes usées qui avaient du être classes un jour.
Il avait frappé à la vitre, comme ça, pour demander du feu mine de rien, ils avaient paniqué, il avait compris, il se doutait de quelque chose, pas un doute là-dessus. Le raid matriciel au domicile des Westmore et un van louche qui fait des tours, s’il avait été inquiet, il était désormais sûr que quelque chose se préparait.
Il avait allumé sa clope en fixant G-Storm, il avait planté son regard dans le sien une éternité, et était reparti se caler dans la vieille américaine.
Un vieux cow-boy, rien de plus qu’un putain de cow-boy qui s’est retiré trop tôt et qui s’en mordait les doigts, un mec qui a loupé son dernier rodéo et qui a eu peur de remonter, un mec dangereux, surtout si on lui offrait la chance d’un dernier baroud ; son air fatigué, sa démarche de looser, il avait une revanche à prendre, G-Storm voulait pas la lui offrir, ils devraient jouer serré.
Le mec reculerait pas, comme un vieux cow-boy qui est passé à côté de sa vie, qui avait eu le temps de comprendre qu’entre la légende et l’oubli y’avait qu’un pas et qu’il avait pas eu le cran de le faire, dangereux comme un mec qui sait que c’est sa dernière chance.

Plats de Ramens froids empilés les uns sur les autres, bières Chinoises éventées, et gros nuage de fumée, le gosse fumait des cubains, ça empestait.
Tao nettoyait son Prédator, le pistolet lourd était bien entretenu, le chien avait été limé et la crosse thermoformée pour épouser sa pogne épaisse. Une inscription en Thaï suivait le long canon lustré.
L’autre flingue était posé sur la table, attendant tristement son tour.
Elle mâchonnait le bâtonnet d’une sucette fraise cola, l’air concentrée.
Cerbère terminait une bouteille de Scotch assis dans l’ombre, perdu dans les volutes de fumée bleue. Il avait pas dormi, son aura était sombre et lourde, il avait un mauvais Karma, un truc qui le suivait dans l’air, un truc que l’alcool ne suffirait pas à faire passer.
Il ne parlait que rarement et toujours avec une sorte de résignation monotone, il restait en retrait accoudé au zinc, face à son reflet dans la vitre sale du bar.

Depuis l’aube ils préparaient minutieusement leur opération, la tension était encore palpable ; les traits tirés, G-Storm terminait le tour de table.
« – C’est notre seule chance, si on se plante ici, pas question de poursuivre l’opération, rappelez vous, la priorité c’est de l’extraire sans une égratignure, pas question d’abîmer la marchandise, Miss Johnson a été claire là dessus.
« Faudra aller vite, dans ce coin de Bellevue, la Lone Star a un temps moyen d’intervention de sept minutes, tout le monde s’en tient à son script, pas d’improvisation.
« On bouge d’ici à 13h ; à 14h, elle rentre en cours d’algèbre, c’est au rez-de-chaussée, c’est l’endroit le plus vulnérable du bâtiment. « Frost, c’est le putain de grain de sable, faut s’occuper de lui en priorité, sa caisse est garée devant l’école.
« Cerbère, Frost ne l’a pas extraite ? Elle est toujours en cours ? »
Le hacker avait les yeux rougis et cernés par l’insomnie, il le regardait à travers les fenêtres de réalité virtuelle qui dansaient devant son visage consumé par la fatigue.
« – Nop, elle suit un cours en ce moment même au deuxième étage du bâtiment.  – Garde un œil sur elle, je veux pas de surprises. »

Un projo de la piste de danse illuminait la table de billard sur laquelle ils élaboraient leur plan.
La planque était sûre, oubliée dans les bas fonds de Little Asia, c’était une boîte de strip-tease qui avait fermé peu après le crash 2.0 ; le proprio, un mauvais payeur, était mort nettoyé par des coréens ; Dead Tiger, l’arrangeur de G-Storm, avait été payé pour faire le ménage.
Il avait pas oublié l’endroit et attendu que la poussière se dépose pour en faire une planque, le crash de la matrice en faisait un mystère du cadastre, tout ce qu’il en restait de visible depuis la rue était une porte sale couverte de tags et d’affiches déchirées, nichée dans les sous-sols d’un bâtiment en ruine.
Ils avaient même une douche dans les loges des danseuses, là-bas y’avait pleins de signatures, de dessins obscènes sur les murs et des Codecoms griffonnés suivis d’invitations sulfureuses.
Y’avait des prénoms marqués au rouge à lèvre sur les glaces.
Il restait des costumes de paillettes, de plumes et de frous-frous, du maquillage plein les étagères.
L’endroit s’était arrêté de vivre, d’un coup, sans prévenir, personne n’avait rangé, tout avait été abandonné en l’état.
Ça puait les cosmétiques de contrefaçon et les souvenirs pleins de rêve de star, d’espoir de percer dans l’entertainement ou de plaire à un ponte fortuné.
Dans le coin des miroirs, y’avait des photos accrochées qui avaient perdu leur 3D et leurs couleurs, restaient que des vieux papiers jaunis et ternes, comme des feuilles fanées prêtes à tomber en automne.
Les visages souriants et juvéniles semblaient tristes et fantomatiques.
Dans l’astral, G-Storm entendait encore les rires et les querelles des danseuses. Les amours rapides et les étreintes froides et grossières entre deux portes. Les remontrances du patron et ses mains baladeuses qu’on tolérait parce que la patronne, une chinoise maquillée comme une maquerelle, toujours la clope au bec, lui pourrissait la vie à force de l’engueuler comme s’il était responsable de chacune de ses rides.
Ça puait la mort, le patron Mr Cho avait été exécuté sur la piste de danse après la fermeture, il suppliait son assassin en cantonais juste avant que la balle ne lui explose la cervelle sur un tube des « Stankes ».
Sa femme, battue à mort, derrière le bar, n’avait pas mérité la balle qui lui airait épargné de longues heures d’agonie, brisée.
L’astral en gardait le souvenir, ça l’empêchait de se concentrer, ça ruisselait sur la piste, résonnait dans les couloirs.
Le sang chaud, la cervelle qui s’évapore dans les airs comme une pensée qui se perd, l’odeur de la poudre, et le bang qui marquait un point final à la petite vie du « Show Cho Balroom ».

Cette matinée passée à planifier le rapt d’une gamine corpo lui restait en travers de la gorge, comme un sale goût après avoir vomi. Il fallait que G s’aère, qu’il prenne le large, l’odeur de fumée froide et des restes de bouffe lui collait à la peau.

Il marchait sans but dans les rues industrieuses de Little Asia. La faune avait changée, les portefaix avaient remplacé les oiseaux de nuit, les coursiers se bousculaient comme des lévriers sur un champ de course.
Il portait son vieux cuir des Ancients, son jean était sale, déchiré et moucheté de peinture. Il avait une dégaine de merde, le truc le plus cher sur lui était son sabre imitation katana, un truc fabriqué en série dans une usine en Europe. C’était pour la frime, et pour le fun, il trouvait que ça en jetait, un souvenir du gang.
Avant son incarcération c’était la grosse mode de se taillader au katana en moto, des duels genre chevalerie, une main pour la pétroleuse, une main pour le sabre, le vainqueur était celui qui faisait couler le premier sang.
Des vendeurs à la sauvette, Taïwanais et Philippins, recouvraient le macadam de leur tapis couverts de babioles, contrefaçons habiles et bricolages merdiques de hardware.
Des vieilles vendaient sur ce marché improvisé de la volaille clonée en batteries dans les arrières cours des restaus du centre, c’était illégal comme tout le reste de ce qui était exposé avant les premières patrouilles Lone Star de huit heures.

Il s’isola dans une impasse, le bitume au sol était craquelé et marqué au sol comme si autrefois des voitures y circulaient.
La ruelle était étroite, la vapeur d’une blanchisserie s’échappait d’une trappe grillagée.
Il lui fallait de l’aide, l’aide de la rue. Frost pouvait tout faire foirer.
Un mec lui avait appris à faire ça, un clodo orque de Tarislar, il savait comment leur parler, les faire obéir.
Les lignes tracées en jaune sur le bitume avaient commencé à doucement onduler, comme le dos d’un serpent, lent, silencieux, s’approchant de lui, s’en prenant à ses sens.
Ça sortait de terre, de sous la croûte noire et luisante du macadam, c’était gros, méchant, et malin.
Ça volait à hauteur de poitrine, mi enfoncé dans le sol, comme si l’asphalte était liquide et que la chose ne sortait que le haut du corps.
« Recule putain ! » La voix de G-Storm était tranchante.
La chose ne parlait pas, elle avait vaguement la forme d’un dragon, plutôt le déplacement d’un dragon, car elle n’avait, a proprement parlé, pas de forme.
Elle ne broncha pas, le truc avait du cran, il avait peut-être visé trop haut.
Un amas de bitume dansant, virevoltant à moins d’un mètre de son visage.
Une collerette de tuyauteries rouillée formait une sorte de crinière d’où s’échappait une vapeur brûlante.
Il sentait son haleine chaude et humide, entre l’égout du matin et l’odeur des poubelles froides.
Ce qui aurait pu être sa tête était un masque grimaçant, fait de plomberies urbaines nouées autour d’une borne incendie comme on en voit dans les vieilles tridéos d’avant les 50’s.
Le truc dansait autour de lui légèrement avec une grâce saccadée, comme ces dragons qu’une dizaine de mecs agitent au nouvel an chinois, une masse énorme arrachée à la rue, dégoulinante d’eaux sales, de boue et de bitume.
« Tu m’aideras quand je t’en donnerais l’ordre. Maintenant tu dégages et tu baisses tes yeux quand je t’invoque ou je te crève, là, la gueule sur le trottoir.»
On s’adresse pas à une impasse de Redmond comme à une rue commerciale d’Evrett, ou à une ruelle de Downtown ; un cul de sac comme ça, ça entend des règlements de comptes, des passes vite faites mal faites, ou des truandes de bas étage. On y fourgue, on y vend des spécial samedi soir, on y corrige une gagneuse au rasoir sucré ou on y passe la nuit décalqué à l’éther en insultant tout ce qui dort au chaud dans une piaule, surtout les clebs.
G-Storm était prêt, il saignait du nez et flirtait avec les murs, s’appuyant sur les réverbères pour rentrer.
L’esprit lui obéirait.

TJ avait garé son van loin de l’entrée de l’école, il le sifflerait au dernier moment ; Tao, Cerbère et G-Storm suivaient le gosse.
Ils avaient des oreillettes et une fréquence sécurisée, ils testaient leur liaison ; émission, réception, tout roulait.
La voiture de Frost était là, G-Storm bascula en perception astrale, ce connard allait prendre l’esprit en pleine gueule.
Tout était gris dans la caisse : un vieux relent d’ennui, des volutes de sommeil, merde, il était pas là !

« Frost, j’ai perdu Frost, il est pas là…. »
Première surprise. Mauvaise.
Tao regardait nerveusement autour d’elle : des passants, un vieux rupin qui promène un clone du chien de son enfance, un drone qui aligne des PV en scannant les véhicules à l’arrêt devant l’école, des passants, un clodo vautré sur la première marche de l’escalier de pierre qui mène à l’école, des touristes qui demandent leur chemin…
L’esprit grondait sous terre, il avait pas sa proie et G-Storm avait pas le temps de le remettre dans le droit chemin.

TJ était arrivé en haut des marches avant eux, il était entre les deux drones de Lone Star, ils commençaient à le scanner ; lui, lançait son hameçon, il utilisait un worm Ukrainien qu’il avait reprogrammé.
Il devait craker les deux drones et en faire ses jouets. Il avait promis cinq minutes sans problème, après il serait sûrement éjecté. Il avait expliqué que ça se passerait comme dans un rodéo, il les tiendrait un moment, mais que si l’employé Lone Star en charge des drones s’en rendait compte, et ça arriverait, ça serait pour lui comme pour le cow-boy sur le taureau quand le taureau se rend compte que ses couilles sont coincées par le harnais.
Il prenait le contrôle des bêtes et réinscrivait leur scripte.
Tao lui avait suggéré d’éjecter les chargeurs des drones pour pas qu’ils se retournent contre eux.

Ils avaient donc cinq minutes pour intercepter la fille que le Hacker convoquait déjà au bureau administratif grâce à sa maîtrise du commlink du secrétariat.
Les drones étaient domptés et ils détournèrent les senseurs à leur passage.

Ils entraient laissant TJ seul sur l’escalier, entre les drones.

Ils étaient dans le couloir. On aurait pas dit une école, plutôt un musée. Enfin, l’école, de toute façon, il avait qu’une vague idée de ce à quoi ça pouvait ressembler. La fille marchait à leur rencontre, elle portait son uniforme comme sur la photo, c’était elle, pas de doute. Elle s’arrêta. Oui, évidemment, ils avaient pas l’air de profs…
G-Storm la souleva du sol, lui colla la main sur la bouche, elle avait eu le temps d’hurler un « maman » strident. Vingt-cinq mètres de la sortie.

La ligne Tao/TJ grésillait.
« Tao à TJ, t’as désarmé les drones, blanc bec ? »
« Je suis en train ma belle, mais j… » Rafale, impact, explosion, trois balles explosives, un cri… « Merde ! TJ au sol, je répète TJ au sol. »
Tao dégainait ses breliques, elle se jeta vers la sortie ; G tentait de suivre mais la petite le ralentissait. Cerbère courait derrière lui en cherchant ce qui merdait dans le cyberspace.

Derrière eux, dans le couloir, un beuglement : « Vous croyez aller où avec cette gamine ?!! A plat ventre les mains derrière la tête. »
C’était pas Frost, y’avait pas que des drones qui patrouillaient ici pour Lone Star : l’agent Gibbs avait décroché ce job peinard à deux ans de la retraite, une école élémentaire y’avait pas plus calme dans tout Seattle ; enfin, c’est ce qu’il croyait.
Il était au bout du couloir, dix mètres derrière, en position de tir comme à l’académie : les genoux bien fléchis, les épaules droites.

Ils avaient la fille, le flic tirerait pas. G-Storm reculait doucement vers la sortie…Cerbère le couvrait.
Dehors, dans l’escalier, ça flinguait dans tous les sens. Tao était en silence radio Une chose était sûre, c’est que les drones avaient été repris en main et qu’ils avaient déclenché l’alarme. G-Storm tentait d’arracher l’arme du flic à louer avec son mojo, mais ce vieux con s’accrochait à son flingue.
L’alarme beuglait.
Les portes des classes s’étaient ouvertes à la volée et les gosses se déversaient sagement dans le couloir, une marrée d’écoliers en uniforme avait investit le couloir.
G-Storm perdait le contrôle, ça se compliquait sérieusement.

Dehors, Tao avait vu le petit plaqué au sol, trois balles dans le buffet.
Les drones s’agitaient, c’est pas eux qui avaient tiré. Les flingues au poing, Tao scrutait les environs. Des balles explosives, une rafale courte et bien centrée, un mec seul qui tirait pour tuer, ça venait d’en bas de l’escalier… Un passant à plat ventre les mains sur la tête, une fille qui court se mettre à couvert derrière la rampes de pierre. Le clodo, il était plus avachi mais s’était pas planqué, un filet de fumée sortait de sa gabardine large… « Frost ! »

Cerbère tenait la porte pour G-Storm qui marchait à reculons, ils sortaient à leur tour. Frost avait pris deux balles et était tombé à couvert derrière la rampe de pierre de l’escalier ; Tao virevoltait entre les deux drones, elle était amochée, mais n’avait raté aucune de ses cibles.
En tombant Frost avait laissé une grenade flashbang en souvenir.
Tao terminait sa passe d’arme, les craches plomb braqués vers un des drones.
C’était comme si elle dansait mais avec des flingues, ça ressemblait à des katas. Chaque geste avait un sens, et tout se faisait en fonction de l’orientation des flingues.
Avec ses acrobaties, elle offrait un minimum d’angle de tir à ses adversaires.
Ce qui foutait vraiment le trac, c’est le sourire qu’elle avait quand elle avait une option de tir.

G-Storm cherchait Frost du regard, il était passé en perception astrale pour le voir à travers son couvert. Il pouvait pas lâcher l’esprit sur lui s’il le voyait pas.
C’est à ce moment que la grenade termina sa course sur la pierre froide de l’escalier, tout prêt de Tao. Quand Frost l’avait lancée, la gamine était pas là.
Ils étaient sortis au mauvais endroit, au mauvais moment.
Un bip timide avait précédé la déflagration.
G-Storm voyait ses pieds, le ciel bleu, une couette de la petite Westmore, ses oreilles sifflaient. La réception fut brutale, une douleur brûlante à l’épaule, la petite était encore dans ses bras, inconsciente, il avait pas été loin de tourner de l’œil lui non plus.
Les drones avaient giclés, se crachant violemment dans un parterre de fleurs.
Tao se relevait, cherchant un angle de tir vers Frost qui en avait profité pour se mettre totalement hors de vue, dans l’angle du bâtiment.
TJ rampait vers la route, désorienté par le choc, il avait plusieurs côtes cassées et laissait une traînée sur les marches en bas de l’escalier. Son T-shirt était noir de sang, il lui collait à la peau.
G-Storm avait une grosse envie de se laisser aller, de fermer les yeux, il avait avalé ce qui devait être un morceau de dent, une de ses incisives avait sautée, coupée en biais.
Il pensait au garde à l’intérieur, il allait pas tarder ; en tout cas, il appelait des renforts. Une grenade à la sortie d’une école élémentaire, même si c’était pas une charge anti-personnelle : Lone Star allait pas faire de détail, ils tireraient pour tuer et les médias applaudiraient pour une fois.
C’était décidément pas le moment de tourner de l’œil.

Le van remontait la rue en zigzagant, le gosse avait quand même réussi à le chevaucher dans son état, sa pompe à adrénaline avait dû lâcher un rush au moment de l’explosion.
Tao arrosait la planque de Frost d’un tir de couverture.
Le van pilla juste devant TJ au moment où ses genoux lâchaient, il se rattrapa à son capot comme quand on se cramponne à une épaule amicale.
La porte latérale s’était ouverte à la volée, Cerbère se mettait déjà à couvert.
G se levait, ça tournait tout autour, la petite était lourde, sa tête se balançait comme un ressort cassé.
C’était le moment de lâcher la bête, l’esprit se matérialisa juste devant lui, l’air courroucé.
« Tue-moi ce sale bâtard ! »
En voyant l’esprit s’enrouler autour de son corps déjà bien amoché, G comprit que pour l’esprit, la définition de « sale bâtard » s’approchait plus du mec qui tient une gamine inconsciente dans ses bras que d’un vieux cow-boy qui se cache pour sauver sa peau….
Et puis il avait commencé sa phrase par « Tue-moi… »

Il lui restait plus qu’un ordre pour sauver sa carcasse, fallait pas se planter…
« Casse-toi immédiatement, bouge de là ! Retourne dans ton impasse de merde ! »
Encore un coin de rue qu’il faudrait pas oublier d’éviter.

Ils s’en tiraient avec pertes et fracas.
La petite était vivante, Frost pourrait jamais les rattraper avec son épave et Lone Star n’avait pas chopé la plaque RIFD du van, techniquement ils étaient clean.
Ils avaient fait des détours pour être sûrs de pas être suivis, ça faisait vingt-cinq minutes qu’ils roulaient.

Tao rechargeait son flingue, il lui en restait qu’un, l’autre lui avait explosé dans la main pendant la fusillade.
Cerbère inspectait la fillette.
« Mauvaise nouvelle, elle a des implants, des trucs pas prévus…
« Des yeux cyber avec un module enregistreur, elle a sûrement tout filmé. Il faut que je la pirate, je crois que je peux effacer sa mémoire interne en me branchant de jack à jack pour pas laisser traîner des ondes compromettantes.
« Elle a aussi un RIFD comme celui que tu avais, G. Mais pour l’opération en dilettante, je jette l’éponge, le truc est collé à son commlink interne, faut ouvrir la boîte crânienne, compte pas sur moi sur ce coup-là.
« Ils vont trianguler notre position, Frost a certainement la fréquence, peut-être même que Dona Westmore l’a donnée à Knight Errant ou Lone Star et, si c’est le cas, on est vraiment dans la merde. »

L’hémorragie de TJ était stoppée, un médikit placé par G-Storm maintenait ses fonctions vitales. Ils avaient enlevé les sédatifs, pour qu’il reste conscient, et l’avaient allongé à l’arrière. Il fermait les yeux, relié à son van. Conduits par un mourant qui roulait à tombeau ouvert !

Ils étaient sur Murrow Memorial, le pont qui enjambe le lac Washington en reliant Bellevue à Downtown , un pont interminable, plus de deux kilomètres de long, ils ne pouvaient pas faire demi-tour.
Si un barrage était tendu à l’autre bout, c’était retour direct en prison pour G-Storm. Il avait même pas eu le temps de casser la gueule de son cousin, chienne de vie, ça aurait été sa seule bonne action.
Un vrombissement puissant faisait vibrer les vitres du van, quelque chose de gros se cachait sous le pont…
Tao osait à peine comprendre, G avait un très très mauvais pressentiment….
Soudain, comme un rapace, il surgit. Plusieurs tonnes de métal. Le van avait fait un écart à cause de la dépression créée par les pales gigantesques. Un Ares Dragon, un hélicoptère gargantuesque, lourdement armé.
Cerbère était dans la tête de la petite, TJ avait enfoui sa conscience au plus profond de la machine, il roulait de façon inquiétante, frôlant les autres véhicules, zigzagant de façon incohérente, il tenait à peine la route. Pas mal quand même pour un mec qui a pris trois balles dans le torse.
Le pilote leur mettait la pression, ses pales touchaient presque le toit du van, y’avait des carambolages partout autour d’eux, la grille matricielle qui gérait la circulation paniquait, comprenait pas ce qu’il se passait.
L’hélico tournait autour d’eux, évitant les panneaux et les câbles, il rugissait à chaque passage au-dessus d’eux. Tao gardait ses balles, inutile de tirer sur ce truc.

Soudain, il les dépassa, en rase motte, se cabra et manoeuvra un superbe demi-tour, se plantant là, face à eux. Ses mitrailleuses les avaient verrouillés, s’ils tiraient, il faudrait des jours pour identifier leurs corps.

Forcer le passage ou tout arrêter….
G-Storm avait une boule dans l’estomac, ça turbinait à fond du côté de ses méninges, ses pupilles dansaient la polka.
Il avait pas le droit de se planter…
« Ils bluffent. Tout droit, ralentis pas… »
L’interfacé obéit, sans flancher, ses sourcils froncés par l’effort, le corps baigné de sueur et de sang.
Cerbère savait même pas qu’il risquait sa viande, le firewall de la petite lui causait plus de soucis que prévu.
Tao serrait ses mâchoires puissantes avec un regard mauvais vers lui.
S’il se plantait, il devrait rendre des comptes aux survivants…

C’est eux qui cédèrent : l’hélico s’était effacé au dernier moment ; par contre, un truc énorme en était tombé au passage.
Il passa en vision astrale et se sentit tout de suite menacé par la masse de chair qui venait de s’écraser violemment sur le toit du van.
« Un troll…ou pire….fais gaffe Tao… »
Il eut juste le temps de dégainer son sabre, sans penser un instant au ridicule de se trouver face à un troll avec son jouet.

La porte latérale du van venait de s’ouvrir, presque arrachée. Avant qu’ils n’aient eu le temps de penser à la refermer, Tao prenait le troll en pleine gueule, les deux pieds en avant. Trois cent vingt-six kilo de troll, le complet gris taillé sur mesure, la coupe élégante saccagée par un baudrier bien ajusté. Il avait une épée/rasoir, une lame monofilament tendue sur le tranchant, un truc qui laisse des blessures propres et nette.
Y’avait plus que G-Storm…son sabre et sa belle gueule d’elfe avec une dent cassée. Le troll avait un tatouage sur la main, force spéciale des UCAS, les Trinity, l’équipe de Frost.
G s’en foutait de qui c’était, il sentait surtout que les prochaines secondes risquaient bien d’être ses dernières.
Ils échangèrent une passe d’arme rapide, trop violente pour qu’il garde son sabre en main, son poignet avait casé net, dans un craquement presque comique.
Mais le troll était entré dans sa garde, c’est tout ce qu’il attendait. Il déchargea la foudre, le frappant en pleine poitrine ; un arc électrique dansait entre eux, ça lui brûlait les yeux.
Ça sentait le cramé, y’avait eu un choc, le van avait presque versé sur le côté.
C’était quitte ou double, il osait pas rouvrir les yeux. Un mec normal se serait pas relevé d’une décharge comme ça.
C’était pas un mec normal. Le troll était là devant lui, l’épée braquée sur sa pomme d’Adam.
« On en reste là, je prends la petite, tu bouges pas et tu penses que c’est qu’un mauvais moment à passer. » Il avait une voix rocailleuse, lourde, il parlait lentement comme s’il avait lui-même du mal à comprendre ce qu’il disait.
Ils se regardèrent un moment, face à face.
Le troll se détourna lentement pour prendre la fillette, débranchant le câble qui reliait sa petite tête à celle du hacker. Avec des mouvements doux, presque tendres, il la hissa sur son dos. Sur son épaule, elle ressemblait à une poupée de chiffon.
G pouvait le faire griller et, cette fois, il le manquerait pas. Il tenait à peine debout, troll ou pas troll, il avait accusé le choc et avait presque son compte ; il le cachait bien mais il suffirait d’un geste pour le finir avec son mojo.
Un petit sourire se dessina sur ses lèvres, son poignet le lançait, mais il était encore d’attaque.

Ce con de Troll l’avait épargné sachant ce qu’il risquait s’il lui tournait le dos. G-Storm comprenait pas, il en restait figé là comme un con, le dos énorme du troll offert sans défenses.
S’il avait été encore dans le gang, il n’aurait même pas hésité, il se serait pas gêné et il aurait été applaudit.
Mais non, il devait être encore plus con que le troll.
Il l’avait laissé partir, c’était fini. Ils avaient joués et ils avaient perdus.
Il rentrait dans les ombres par la petite porte, un looser de plus pour faire bander les Johnson.
Il avait fait son choix, jamais plus il serait un bosozuku, une petite frappe. Il avait trouvé une autre voie.
Ça commençait mal pour un premier contrat, il s’était vautré, y’avait eu de la casse et ils avaient encore moins de nuyens qu’en embarquant.
Il aurait pu le cramer, y’avait même aucune chance qu’il le rate, c’est pas la peur qu’il l’avait retenu, oh non, c’était un autre truc, un truc important, il arrivait pas à comprendre son geste, à mettre des mots dessus, mais il savait que ça changerait sa vie.