La table

Quand Ray et son pote débarquèrent au Twister, je compris tout de suite qu’ils n’étaient pas venus pour le plaisir de boire un verre avec moi. Ray avait son regard des mauvais jours, un regard fuyant. Son pote, lui, faisait carrément la gueule. Il n’avait pas besoin de ça pour être intimidant. Bien qu’humain, il était taillé sur le modèle ork. Ses mains, larges comme des battoirs, étaient agitées d’un tic nerveux régulier. Abus de Novacoke ou de BTL ? Allez savoir. En tout cas, il était trop jeune pour que ses réflexes câblés déconnent déjà. À moins bien sûr qu’il n’ait acheté un équipement de deuxième ou troisième main.

« Jake, on a besoin de tes services. Ça urge. On va t’emmener. Paye ton verre, on décolle tout de suite ! »

Ça puait. Pourquoi être venu me chercher ? J’ai un téléphone, je suis joignable… Ray savait bien que je n’aurais pas refusé une demande de sa part. Il faut dire que sans lui, je croupirais probablement quelque part dans une prison corpo. Il y a moins d’un an de ça, j’avais encore un SIN, un vrai job, une petite vie tranquille et je m’étais aménagé des « à-côtés » histoire d’arrondir mes fins de mois. C’est comme ça que j’avais fait la connaissance de Ray. Je m’occupais à l’époque de cyberchirurgie sur animaux. Je récupérais des pièces cybernétiques et des programmes de maintenance que je lui fourguais. Et puis du jour au lendemain, mon patron avait commencé à me tourner autour, à être suspicieux et à me poser des questions sur mon travail, trouvant bizarre que le taux de pièces défectueuses que je détectais soit supérieur à celui de mes collègues. J’avais appelé Ray au secours et en échange d’une coquette somme, il avait organisé mon extraction. Non, vraiment, je ne lui aurais pas refusé un service. Alors pourquoi cette excuse foireuse pour venir me chercher ?

Une Mercury Comet nous attendait sagement devant l’entrée du bar. Ray et moi sommes montés à l’arrière. Son pote s’installa à l’avant avec le conducteur, un interfacé qui garda les yeux fermés et les mains sur les genoux pendant tout le trajet. Personne ne dit un mot pendant les trente minutes qu’il nous fallut pour rejoindre les docks de Tacoma depuis le sud de Downtown. J’en profitai pour faire quelques recherches sur la Mercury Comet. J’avais investi dans du cyberware au début de ma nouvelle vie : un commlink implanté et des yeux cybers bourrés d’options plus ou moins utiles. En comparaison de mon ancien équipement (un commlink externe et des lunettes pour la réalité augmentée), mes implants me permettaient une totale discrétion. Avant d’y monter, j’avais mesuré la garde au sol de la voiture et mes recherches me confirmèrent ce que je pensais : celle-ci était trois centimètres plus bas que la norme. Pas assez pour du tuning, trop pour une simple fatigue des amortisseurs. Le blindage était plus renforcé que sur l’originale, tout comme le moteur dont le ronronnement rauque laissait deviner un V8, indisponible sur ce modèle, même en option.

Ça ne m’avait pas vraiment étonné que Ray veuille se rendre dans le quartier des docks. C’est là qu’il opérait le plus souvent, tout comme moi. Mais ce ne fut que lorsque la voiture quitta la 11e Avenue Ouest pour s’engager sur l’Avenue Yakima Sud que je compris que nous nous rendions directement à mon cabinet.

C’est Ray qui me l’avait dégotté juste après mon extraction. Il m’avait prévenu dés le départ qu’en acceptant d’en reprendre l’exploitation, je me mettrais en cheville avec la Mafia. Mais j’avais brûlé la majeure partie de mes économies dans l’extraction, l’achat d’une nouvelle identité et mes nouveaux implants. Je n’aurais pas tenu longtemps sans ce job, alors j’avais accepté. Et jusqu’à ce jour, j’avoue que je n’avais pas eu à le regretter. Mon prédécesseur avait connu une mort violente lorsqu’un gang concurrent des Raggers avait décidé d’achever les blessés d’une récente fusillade. Ils s’en étaient pris au cabinet au moyen d’un drone kamikaze bourré d’explosifs au phosphore blanc. Mais ces types étaient tellement nazes que le drone n’était pas allé plus loin que la salle d’attente. Coup de chance pour moi, le doc s’y trouvait et avait fêté la St Jean avec quelques mois d’avance. Quant au gang en question, il avait été rayé de la carte par les hommes de Don Gianelli en représailles.

Mes affaires sont florissantes. Les Raggers, laquais écervelés des Gianellis, passent leur temps à prendre des pruneaux et à venir me voir pour se les faire retirer. En échange d’une petite remise sur les tarifs des soins, ils assurent la protection de mon cabinet. C’est en tout cas ce que laisse supposer le gigantesque tag noir et gris qu’ils ont peint sur la façade, même si, dans les faits, c’est la Mafia qui assure ma protection. Je paie un loyer pour les locaux et le matériel. Dès les premiers jours, j’ai vu défiler dans la salle d’attente tout un tas de types affectés d’un accent italien foireux, les cheveux gominés et portant des costards minables. Ils se prennent pour Don Bigio, ne connaissent qu’une ou deux insultes en italien et pensent que manger des soy-pâtes fait d’eux des hommes puissants… Mais eux aussi sont de bons clients. La guerre ouverte que la Mafia livre au Vory v Zakone, son équivalent russe, conduit à de nombreux affrontements violents et les éclopés finissent tous chez moi. Les plus riches claquent leurs nuyens en implants susceptibles d’allonger leur espérance de vie. Entre les opérations elles-mêmes et la marge que je me prends sur le matériel, je n’ai jamais de retard dans mes loyers.

Une voiture et un van étaient garés devant le cabinet. La lumière était allumée et filtrait au travers des barreaux des fenêtres et sous la porte blindée. Je me connectai immédiatement au nœud du cabinet et un plan en 3D fit son apparition dans mon champ de vision. J’appelai à ma vue les statuts de sécurité d’une simple impulsion mentale. Le plan se déplaça légèrement, laissant place à diverses informations affirmant qu’aucune intrusion, physique ou virtuelle, n’avait été détectée, et que la situation était normale. Un simple regard aux paramètres de confort confirma mes craintes : la lumière était censée être éteinte dans toutes les pièces… Pas de doute à avoir, le nœud avait été piraté par un pro qui m’envoyait des infos complètement fausses. Cette soirée prenait décidément un tour qui ne me plaisait pas du tout.

En descendant de la voiture, Ray se fendit d’un « Reste zen Jake, c’est tranquille ! ». Qui essayait-il de rassurer avec cette réplique digne d’une mauvaise tridéo B ? Lui ou moi ?

Quatre personnes, trois hommes et une femme, m’attendaient. Un grand type bedonnant que je reconnus immédiatement comme étant le représentant des Gianellis sur les docks. Je l’avais rencontré une fois lors de ma « prise de fonction ». Il m’avait fait l’effet d’un pain de glace glissant lentement le long de ma colonne vertébrale lorsqu’il m’avait expliqué les conditions du deal. Les rumeurs que j’avais entendues par la suite avaient confirmé mon impression. Face au Vory, réputé pour ses méthodes violentes et cruelles, Tony « The Chief » Gianelli avait diligenté son plus sanguinaire lieutenant. Ce dernier n’était jamais en reste dans la surenchère des atrocités pour reprendre au Vory et au Yakusa les territoires et les marchés perdus année après année. Les deux hommes qui l’accompagnaient étaient de banales porte-flingues, des briseurs de genoux plus futés que la moyenne qui avaient été promus gardes du corps.

Quant à la femme, la voir me fit l’effet d’un électrochoc. Comment avais-je pu être aussi naïf. C’était une elfe. Une brune magnifique et féline dont le seul défaut physique était une courte cicatrice sur la pommette gauche. Je l’avais rencontrée plusieurs semaines auparavant dans une boîte à la mode de Tacoma où nous avions bu quelques verres ensemble. Nous nous étions revus plusieurs fois, pour boire un verre ou manger au restaurant. J’avais méchamment accroché dés le début mais elle maintenait constamment une distance qui la rendait encore plus désirable. J’en avais fait des tonnes pour l’impressionner, racontant en long et en large ma vie de doc des rues, exagérant sur mes contacts avec la Mafia et expliquant comment j’améliorais ma marge en achetant certains implants au Yakusa. D’elle, je n’avais rien appris de plus que son nom, Kitty, son numéro de téléphone, et le fait qu’elle travaillait dans les Ombres. Après quelques semaines, elle avait cessé de répondre à mes appels et j’avais facilement laissé tomber, persuadé qu’elle avait juste cherché un pigeon pour lui payer des verres et des bons repas. Quel crétin !

Le mafioso me lança un regard dépourvu d’émotions et s’adressa à moi d’un ton sec et cassant :

– « Quelle déception Jake ! Vous permettez que je vous appelle Jake ? Depuis combien de temps travaillez-vous ici ? Un an à peu près ?

– Neuf mois, Monsieur » m’entendis-je bafouiller. Dans mon champ de vision, les infos en provenance de mon biomoniteur s’affichèrent en rouge tant mes pulsations et mon taux de sudation s’étaient envolés.

– « Neuf mois, Jake ! N’ai-je pas respecté ma part du marché ? N’ai-je pas fourni un local équipé, une clientèle fidèle et solvable ? N’ai-je pas fait en sorte que vous ne connaissiez pas une fin aussi pathétique que votre prédécesseur ? Et vous ne trouvez rien de mieux que de me poignarder dans le dos en traitant avec ses bâtards japonais ! »

La colère perçait dans sa voix. Je crois que si mon biomoniteur avait été configuré pour, il aurait affiché en grosses lettres rouges que j’étais sur le point de pisser dans mon froc. Je jetai un regard désespéré à Ray qui m’avait suivi à l’intérieur du cabinet, toujours accompagné de l’autre type, mais il détourna le regard. J’imagine que lui aussi était dans une situation délicate. Après tout, c’est lui qui m’avait recommandé.

– « Malgré tout, Jake, vous avez montré que vous saviez faire du bon travail, pas vrai, Craig ? » dit-il en se tournant vers l’un des deux sbires qui acquiesça docilement. Sa tête me revint alors. On me l’avait amené il y a quatre ou cinq mois de cela avec quelques grammes de plomb dans le buffet. Il avait perdu énormément de sang et ça avait été un vrai challenge de le garder en vie. J’avais sauvé la vie de ce type, mais malgré tout, il me collerait une balle entre les deux yeux sans aucune hésitation si son boss le lui demandait. Je notai mentalement de rayer le mot reconnaissance de mon vocabulaire si je survivais à cette nuit.

– « C’est pourquoi j’ai décidé de me montrer magnanime et de vous donner une deuxième chance. » Il laissa flotter un silence de quelques secondes et je dus vérifier l’historique de mes battements de cœur par la suite pour m’assurer que ce dernier n’avait pas raté quelques battements. « Votre deuxième chance vous attend dans la pièce d’à côté. »

Sans un mot, nous nous dirigeâmes tous vers le bloc opératoire. En y pénétrant, une légère odeur de décomposition m’arracha un froncement de sourcils. Je suis habitué à cette odeur et elle a cessé de me gêner. Dans mon ancien job, j’avais disséqué de nombreux corps d’animaux morts pour récupérer les pièces de cyberware de valeur, mais je n’ai jamais eu de clients métahumains morts et cette perspective ne m’enchantait guère. Un corps dissimulé sous un drap vert était allongé sur la table d’opération. Au jugé, il devait s’agir d’un ork. C’est tout du moins ce que le gabarit laissait supposer.

D’un bref mouvement du menton, le mafioso m’indiqua que c’était à moi de jouer. Je me plaçai derrière la table et jetai un regard à la ronde en quête d’une quelconque information sur ce à quoi je devais m’attendre. Le mafioso affichait toujours son visage sans expression, tout comme ses deux sbires. Je crus néanmoins deviner un début de sourire à la commissure de ses lèvres. Ray avait la tête d’un type souffrant de diarrhées et à qui on venait d’annoncer que les toilettes allaient se libérer dans quelques minutes. Son pote regardait ses pompes en serrant les mâchoires. Kitty s’était reculée au fond de la salle. Elle s’était adossée au mur et son regard flottait, vide, sur la scène qui se déroulait sous ses yeux. Il y a une différence entre soutenir le regard d’un pauvre type qu’on mène en bateau dans un bar et contempler la mort. Je me rappelai alors c’était à cause d’elle si j’avais été pris la main dans le sac et décidai de ne pas éprouver de pitié. Je pris une profonde inspiration et repliai le drap jusqu’au bassin de mon client.

Je fus un peu surpris. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais en tout cas, au moins à quelque chose d’un peu amoché. Contrairement à ce que j’avais cru, il ne s’agissait pas d’un ork. Son teint était tout ce qu’il y a de plus cadavérique, à la limite du verdâtre. Le visage ne portait aucune trace de tuméfaction mais, assez curieusement, aucun cheveu, poil de barbes, cil ou sourcil n’était visible. Une tâche, que j’imaginai être une sorte de moisissure sous-cutanée, s’étendait de l’oreille droite jusqu’au cou, disparaissant ensuite sous le col roulé du pull. Celui-ci, de couleur sombre, était parfaitement propre. De marque Victory, je remarquai qu’il était légèrement blindé. Je m’apprêtais à pousser l’analyse plus loin mais le mafioso m’interrompit :

– « J’ai besoin que vous récupériez un commlink implanté. »

Je ne sais pas si c’était la perspective d’assister à l’opération, mais Ray pâlit brusquement et sembla avoir quelques difficultés à déglutir.

– « Bien. Vous voulez que j’ouvre le crâne de ce type et que je sorte le matériel sans l’abîmer je suppose.

– Ce ne sera pas nécessaire. »

Cette fois, j’en suis certain, mon cœur a réellement raté un battement, car c’est le type sur la table qui venait de parler. Ses yeux, dont la cornée semblait recouverte d’une épaisse cataracte, me fixaient à présent sans ciller et je sentis chacun de mes poils se hérisser. Ce n’était pas dû au simple étonnement. Il y a avait autre chose, quelque chose de plus instinctif, de plus viscéral. Une sorte de peur primaire s’éveillant soudainement. Ray semblait éprouver la même chose que moi. Mais mon intuition me souffla que les causes de sa peur étaient différentes des miennes.

L’homme se redressa, se débarrassa du drap, puis se leva, décochant un sourire effrayant à Ray. À la vue de ses ongles recourbés comme des griffes et de ses dents aiguisées comme des rasoirs, j’eus la confirmation de ce que je craignais : ce type était une goule. Comme tout le monde, j’avais entendu des tas d’histoires racontées par des gens qui connaissaient des types qui avaient vu une goule, une nuit. J’imaginais les goules comme des créatures décérébrées, tout juste bonnes à émettre des râles grotesques en titubant dans les tunnels des égouts de Seattle, comme à la tridéo. Une fois encore, la réalité se révélait plus effrayante que la fiction.

Le mafioso reprit la parole, aussi calme que si rien ne s’était passé. Pendant ce temps, la goule alla s’installer confortablement dans le fauteuil en synthécuir trônant derrière mon bureau.

– « Voyez-vous Jake, notre invité a un point commun avec nous deux : nous avons été dupés par Ray. Vous croyez que Ray est votre ami n’est-ce pas ? Et vous vous dites probablement que je vous mens pour faciliter votre ralliement à ma cause ? Je sais que vous êtes pragmatique. Des faits vous conviendront bien mieux que des paroles. »

Une fenêtre fit son apparition dans mon champ de vision, m’avertissant qu’un utilisateur inconnu souhaitait me transférer un fichier vidéo. Après un rapide contrôle anti-virus, je validai le transfert d’une simple pensée. Quand j’y repense, les instants qui ont suivi m’apparaissent irréels, deux réalités foncièrement différentes se superposant l’une à l’autre. La vidéo montrait un Ray calme, posé et convainquant. Le Ray que je connaissais. En transparence, je voyais un Ray hystérique, colérique et paniqué. Je réussis tant bien que mal à maintenir mon attention sur les deux plans jusqu’au moment où Ray eut un geste malheureux qui pouvait être interprété comme une tentative pour dégainer une arme. Je revois encore la scène au ralenti : les deux gardes du corps plongeant leur main sous leur veste mais incapable d’agir avant Kitty. Bien sûr, je n’ai aucune preuve que c’était bien elle, mais je suis presque certain de l’avoir vu agiter sa main droite qui avait pris une apparence plus griffue et velue, tandis que ses pupilles s’étaient étrécies. L’électricité statique satura l’air de la pièce et Ray s’écroula sans bruit, terrassé par un mal invisible.

Je fis couler l’eau brûlante de la douche pendant de longues minutes ce soir là. J’imagine que j’espérais inconsciemment qu’elle lave mes souvenirs et que cette horrible soirée disparaisse avec elle par la vidange. Les cris de Ray beuglant que c’était une méprise raisonnaient encore à mes oreilles. Ses yeux étaient emplis de cette peur universelle. Non pas la peur de la mort. Quelque chose de pire. La peur de ce qu’il allait endurer avant de mourir et après quoi la mort viendrait comme une délivrance.

Il se trompait. Il n’a pas souffert. Un des deux sbires a ramassé son corps et l’a déposé sur la table à présent vide. À l’aide d’un biomoniteur, je vérifiai ses signaux vitaux pour constater qu’il était simplement KO. Je me demande aujourd’hui s’il était vraiment inconscient ou juste paralysé, incapable de bouger mais parfaitement conscient. Je crois que je préfère ne pas savoir en fait.

Avant de sortir, le mafioso me rappela qu’il voulait le commlink. Il me dit également que je devais prélever sur le corps tous les organes et les implants de cyberware. Je pouvais garder ces dernières, mais les organes devaient être remis à l’homme assis dans mon fauteuil.

Il me fallu plusieurs heures pour finir le travail. Hormis le commlink, Ray avait peu de cyberware : une paire d’yeux datant d’au moins deux ans et déjà dépassée, des implants audios, un datajack et le fameux commlink. Ses organes étaient en bon état et je les plaçai dans des caissons de transport réfrigérés. Dans mon empressement, je n’avais pas remarqué que la goule n’était pas sorti de la pièce et lorsqu’elle apparut à mes côtés, je ne pus retenir un petit cri de surprise qui ne lui échappa pas et lui arracha un sourire à faire frémir un troll défoncé à la Kamikaze. Je ressentis le besoin de meubler pour cacher ma gêne.

– « Voilà. C’est fait. Vous pouvez emmener les caissons. Je m’occupe d’incinérer le corps une fois le nettoyage du bloc terminé.

– Ce ne sera pas nécessaire. J’emporte également les restes. »

Je fus incapable de soutenir son regard aveugle. Pauvre Ray, quelle triste fin…

La douche n’avait pas rempli son office et je dus me rabattre sur mon plan B : l’alcool. Compte tenu des évènements exceptionnels je décidai de m’ouvrir une vraie bouteille de vodka que j’avais achetée dans l’espoir d’une hypothétique visite de Kitty. Vodka pure : elle ne buvait que ça. Personnellement, je trouve ça imbuvable, mais c’était exactement ce dont j’avais besoin ce soir-là. Je bus les trois premiers verres cul sec. Au quatrième, je commençai à me faire au goût et je me mis à siroter tranquillement mes verres en m’abrutissant devant un talk-show quelconque. À la moitié de la bouteille, le sommeil ne venant toujours pas, je décidai de visionner à nouveau la vidéo que le mafioso m’avait envoyée.

La scène se déroulait de nuit sur un parking et était filmée par une caméra placée assez loin au-dessus du sol, probablement montée sur un drone similaire au Fly-Spy dont MCT faisait la promotion à grand renfort de pub à la tridéo. Il n’y avait malheureusement pas de bande son. Ray y apparaissait de dos discutant avec un individu que je ne pouvais que reconnaître : mon ancien boss. Lorsque j’avais regardé la vidéo pour la première fois quelques heures auparavant, il m’avait semblé évident que l’homme de dos était Ray. Cette silhouette. Cette démarche. Cette façon de parler en gardant constamment sa main droite dans la poche de son pantalon. C’était lui.

Mais maintenant, je n’en étais plus si sûr. Je regardai la vidéo en boucle une dizaine de fois. Ce fut le temps qu’il me fallut pour mettre le doigt sur ce qui me titillait : quelque chose dépassait légèrement de son col. Probablement un tatouage au niveau de la nuque. J’avais beau chercher, j’étais incapable de dire si oui ou non j’avais vu ce tatouage auparavant. J’étais tellement tendu et concentré lorsque je l’avais découpé que je n’en avais pas de souvenirs précis. Avais-je vu ou non ce tatouage ? Impossible de m’en rappeler. Et je n’avais même plus le corps pour vérifier.

Et merde ! La vodka n’y suffirait pas. Quelques pilules de Bliss en renfort ne seraient pas superflues.